Nice regarde Matisse et peint dans ses yeux…

Aragon écrit sur Matisse…
 

 

« Nice, où il habita d’abord le quartier des Ponchettes, puis les hauteurs de Cimiez, est étroitement lié à la gloire de Matisse. […] Il n’est pas indifférent qu’un grand peintre ait travaillé ici ou là. Et pour Matisse moins encore que pour un autre.

À cause de l’honnêteté de cet artiste. […] L’honnêteté, voilà ce qui est plus caractéristique de l’œuvre de Matisse que ne l’est la raison. L’honnêteté est souvent déraisonnable. […] Le mot honnêteté est généralement pris pour niaiserie dans un monde où l’illusionnisme est roi. […]

C’est sur Nice que s’ouvrent les fenêtres de Matisse. Je veux dire dans ses tableaux. Ces merveilleuses fenêtres ouvertes, derrière lesquelles le ciel est bleu comme les yeux de Matisse derrière ses lunettes. Et c’est un dialogue de miroirs. Nice regarde son peintre et peint dans ses yeux. […]

 

 

 

 

 

 

 

 

« Dans mon art [explique Matisse], j’ai tenté de créer un milieu cristallin pour l’esprit : cette limpidité nécessaire, je l’ai trouvée en plusieurs lieux du monde, à New York, en Océanie, à Nice. Si j’avais peint dans le Nord, comme il y a trente ans, ma peinture aurait été différente : il y aurait eu des brumes, des gris, des dégradations de la lumière par la perspective. Tandis qu’à New York, les peintres, là-bas, disent : «  On ne peut pas peindre ici, avec ce ciel en zinc ! » En réalité, c’est admirable ! Tout devient net, cristallin, précis, limpide. Nice, en ce sens, m’a aidé. Comprenez bien : ce que je peins, ce sont des objets pensés avec des moyens plastiques : si je ferme les yeux, je revois les objets mieux que les yeux ouverts, privés de petits accidents, c’est cela que je peins… ».

Il faut dire que Nice apportait au peintre, avec sa lumière, et une végétation tropicale, une autre source d’inspiration : il n’y a pas en France de ville, même à compter Paris, plus cosmopolite que Nice […] À Nice, il est venu des quatre coins du monde des gens qui y ont apporté la poussière de leur patrie, ses mœurs, ses traditions.

 

 

Matisse © Cartier-Bresson

 

 


 

 

 

 

 

 

 

Par là, cette ville offrait à Matisse un choix de modèles, de types de femmes qu’il n’eût pas trouvés ailleurs, un souffle du vaste monde. L’Orient, la Russie, les pays barbaresques, et jusqu’aux mers du Sud. Cette grande tentation partout visible dans son œuvre. Cette reconstruction du monde. »

 

Aragon, Henri Matisse, Roman, 1971
(extrait)

 

 

L’écrivain et le peintre se sont retrouvés à Nice en 1941.

Aragon considérait Matisse comme le peintre de ses rêves. Ce dernier réalisera une série de portraits du poète et de son épouse, Elsa Triolet. Le livre d’Aragon dont est extrait ce texte ne sera publié que 17 ans après le décès du peintre. Il sera en partie le résultat de conversations et d’échanges épistolaires entres les deux artistes.

 

 

 

 

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