Rencontres avec Fernando Alves

 

« Lorsque nous passons le temps à faire de la musique, quelque chose dans le temps cesse de passer »… Cette réflexion de l’écrivain Pascal Quignard m’est souvent venue à l’esprit lors de mes rencontres avec Fernando Alves.

 

Je connais ce grand musicien, chanteur et compositeur « carioca-niçois » depuis des années. Et si le temps passe pour tous… une sorte de grâce et d’élégance intemporelles émanent toujours de cet artiste à la voix douce, et aux mains aussi belles que virtuoses.

 

Il serait bien prétentieux de ma part de vouloir définir ce qui m’a captivée en lui, dès nos premiers échanges. Je ne ferai référence qu’à sa générosité sans artifices, celle qui se revêt toujours de la modestie des plus grands.

 

Cet ami aux multiples facettes a accepté de me confier des éléments de son œuvre-vie. C’est avec joie que j’apporte cette richesse nouvelle à la rubrique « Portraits d’Artistes » de ce site.

 

 

 Fernando Alves

 

 

Benjamin d’une famille de huit enfants, Fernando Alves voit le jour à Rio de Janeiro au printemps 1939. Il se souvient d’y avoir vécu une enfance très heureuse, au sein d’une famille unie, dans la partie pauvre du quartier chic de Copacabana : Botafogo, qui signifie  « Mets le feu »… Les dés étaient sans doute lancés !

 

 

 

Famille de Fernando Alves en 1954

 

 

Fernando Alves à l’âge de 15 ans

 

 

Une vie de ‘famille musicale’

 

Dès sa plus tendre enfance, il baigne dans une ambiance musicale et festive. Son frère João joue de la trompette jazz avec les meilleurs musiciens du moment, et son frère Augusto taquine sérieusement la guitare.

João Antônio Alves, le patriarche, chante la musique traditionnelle de son Ceará natal, un État du Nordeste.

A la maison,  tout le monde joue le ‘Choro’, cette  musique instrumentale brésilienne, riche en modulations, qui permet de démontrer la virtuosité technique et mélodique des musiciens.

Les voisins viennent assister aux répétitions, qui se transforment rapidement en bal de quartier car tout le monde danse…

Fernando a dix ans et ne s’ennuie jamais. Rio est si vivante… Il trouve de petits boulots de rue (récupération de verre et papier, cireur de chaussures, gardien de voitures) afin de pouvoir s’offrir quelques friandises et aider sa mère à améliorer le quotidien familial.

Il écoute et observe ses frères artistes. À l’âge de douze ans, c’est donc tout naturellement qu’il commence sa vie de musicien… en tenant la caisse-claire dans la ‘banda’ des scouts. De quatorze à seize ans, Fernando joue les percussions cubaines dans un groupe de Salsa et Boléro. Parallèlement, il débute à la guitare.

A dix-sept ans, influencé par son frère João, il commence à jouer de la batterie, complétant ainsi l’orchestre familial. L’année d’après il retrouve la caisse-claire dans la fanfare de son régiment. La musique ne s’arrêtera jamais…

 

 

L’Homme de Rio

 

En 1958, naît la Bossa Nova. Fernando a 19 ans et va alors participer à l’effervescence musicale du moment. Il débute ainsi sa carrière de musicien professionnel avec les meilleurs artistes de Rio.

En 1961, il effectue ses premières séances d’enregistrement en studio avec l’équipe du ‘Drink Bar’, le lieu musical le plus branché de Copacabana. En font partie Wilson Simonal et Sylvio Cesar, qui resteront jusqu’au milieu des années 70 les chanteurs et communicateurs de masses brésiliens les plus célèbres. Ils sont aussi les auteurs de nombreux succès populaires de la musique carioca.

On le retrouve dans d’autres performances sous la direction des chefs d’orchestre Waldir Calmon, Peter Thomas et Moacir Silva, saxophoniste majeur. À cette époque, à Rio, Fernando accompagne également les standards de Jazz.

 

 

 1962

 

 

Invité, dès 1965, à jouer sur des bateaux de croisière, il voyage alors dans le Brésil et dans l’Amérique du Sud.

Il reviendra à Rio en 1970, pour participer aux émissions musicales très populaires de la télévision Tupi telles que ‘La Grande Chance’ et ‘Un Instant Maestro’. Elles sont animées par Flavio Cavalcante. Fernando y accompagne des chanteurs renommés.

Il participe parallèlement à de nombreuses séances d’enregistrement avec des interprètes connus, tels Fafá de Belém, Elza Soares et Jorginho Do Império. C’est Elza Soares, considérée alors comme ‘La Reine de la Samba’, qu’il va ensuite accompagner pendant cinq ans, dans ses tournées dans tout le Brésil.

 

La France se dévoilera à notre artiste en 1982, lorsqu’il sera invité pour six mois au « Pam Pam » de Juan-les-Pins. Il restera en France non pas six mois… mais six ans…

La rigueur de l’hiver parisien, vécu dans des conditions relativement précaires, lui fait ressentir une infinie nostalgie de Rio. Sa ville natale lui inspire alors de magnifiques chansons. À cette époque, il y a dans la capitale française une véritable pénurie de guitaristes brésiliens. Fernando reprend sa guitare pour accompagner les différentes chanteuses brésiliennes qui travaillent à Paris. Puis, de nouveau comme batteur, il accompagne la chanteuse Nazaré Pereira durant sa tournée de six mois en France et dans les pays francophones européens.

 

De retour à Paris, il se produit dans les lieux les plus branchés de la capitale. On a pu l’écouter en concert au ‘New Morning’, à l’hôtel ‘Georges V’, au ‘Petit Opportun’, au ‘Baiser Salé’. Vie d’artiste oblige, il se produit aussi dans les restaurants brésiliens chics de Paris et on peut l’entendre ‘Chez Félix’, ‘Chez Guy’, ‘Chez Chica’, au ‘Discophage’, entre autres.

En 1984, il participe à ‘Cadence 3’, programme télévisé animé par Guy Lux, comme batteur de la chanteuse Beth Carvalho, fameuse représentante de la samba et de la MPB.[1] Il y croise Jimmy Cliff.

 

C’est en 1985 qu’il retrouve enfin Nice, dont il était tombé amoureux lors de son premier séjour à Juan-les-Pins. Dès lors on a pu l’entendre dans les établissements prestigieux de la Côte d’Azur, du ‘Sporting’ de Monte-Carlo  aux boîtes de Saint-Tropez, en passant par les palaces cannois et les croisières en Méditerranée.

 

 

 

Au « Pam Pam », en 1992

 

 

En 1988, il est cependant ‘invité à quitter le pays’, après avoir été gracieusement hébergé (sandwichs et cafés offerts) à la Caserne Auvare de Nice. A ce propos, il remercie chaleureusement ceux qui lui ont permis de conserver sa guitare en prison, grâce à quoi le lieu fût ‘tranquille’ durant ce petit séjour… La musique adoucit les mœurs et les gens.

 

De retour à Rio, il compose et enregistre son album ‘Zodíaco’. Il se charge de tous les arrangements. Son neveu Luis Alves[2] l’accompagne à la contrebasse.

 

 

Sur la plage du Moorea (Juan-les-Pins), en 1994

 

 

Il revient en France, où il entreprend une action éducative et culturelle en enseignant la percussion brésilienne. A la Maioun Do BeBop, aidé par Jean-Luc Danna, il crée le premier ‘Bloc de Samba’[3] de Nice. Bon nombre de jeunes musiciens locaux lui doivent leur connaissance de la percussion, de la batterie et des rythmes brésiliens et latinos.

 

 

À Saint-Tropez, en 1995

 

 

Depuis, certains d’entre eux ont créé leur propre ‘bloc de samba’ et ont diffusé cette activité dans les quartiers niçois, notamment  lors du carnaval.

 

 

 

Un magicien du rythme et un créateur

 

 

Ce musicien polyvalent – qui joue de la batterie, de la percussion, de la guitare acoustique et du « cavaquinho » – est aussi un auteur-compositeur de grand talent.

 

 

 

 

Fernando Alves s’inspire des gens et de leurs vies.

Quelques-unes de ses chansons disent des histoires tristes. Mais il demeure toujours, en filigrane, la chaleur d’une joie douce, cette sorte de gaieté finalement consolatrice.

D’autres compositions nous emmènent danser, dans un voyage autour du Brésil. Sur des rythmiques traditionnelles, il raconte les lieux, les gens, les mythes brésiliens… de Rio au Ceará, en passant par le Minas Gerais ou encore l’Amazonie… Il dit aussi l’histoire de ces jeunes « Capoeiristes » venus ‘Au pays de Molière’ transmettre et diffuser leur art, à mi-chemin entre danse et art martial.

 

Il nous est impossible de rester insensibles à la douceur empreinte de nostalgie que lui inspire ‘son’ Rio natal. Cet ambassadeur de choix du Brésil a d’ores et déjà conquis un public fidèle et enthousiaste. Sa voix chaude et caressante, le charme incomparable de son authenticité, tout cela est source de succès chez ce magicien du rythme.

 

En composant « Je monte au stade », l’hymne des supporters de l’ « O.G.C. Nice » (paroles de Louis Pastorelli), Fernando Alves a déjà laissé son empreinte au cœur de Nice, sa ville française aimée.

 

 

De la tradition à la fusion : « Bebop No Choro »

 

 

On ne peut décrire Fernando Alves et sa musique sans évoquer les nombreux ‘Choros’ qu’il a composés. Diane Aidenbaum, jeune violoniste classique de grand talent au parcours impressionnant, et Sébastien Chaumont, au saxophone alto, ont été ses premiers complices.

« Bebop No Choro » est né de la rencontre, à la Maioun du Bebop, de Fernando ALVES avec Sébastien Chaumont, bientôt rejoints par d’autres musiciens de Jazz. Il en est résulté la fusion de deux styles musicaux : Bebop et Choro.

Le Choro est considéré comme la première musique populaire urbaine typique du Brésil, avec environ 130 ans d’existence. C’est un style riche en modulations. Sur un rythme animé et joyeux, il donne aux musiciens l’occasion de démontrer leur virtuosité en improvisant autour de la mélodie et en proposant des variations.

Aujourd’hui, Sébastien Chaumont et Manu Carré aux saxophones, Béla Lorant ou Tahina Razafindratsiva au trombone et Philippe Giuli à la trompette, forment une section de cuivres de haut vol qui, avec Pascal Balestra au cavaquinho, Linus Olsson ou Alvaro Esdras à la guitare, Jean-Marc Jafet à la basse, Max Miguel à la batterie et Jean-Luc Danna aux percussions constituent la formation originale « Bebop No Choro ». Leur enthousiasme allié à leur talent participe à la sublimation de ces œuvres. L’interprétation « bebop » de ces choros de conception traditionnelle constitue un genre musical inédit, véritable fusion du Choro et du Bebop. Mais si cette touche de Bebop vient épicer le Choro d’une note de jazz, elle ne le dénature pas pour autant.

 

 

 Bebop No Choro

 

 

Nous avons eu l’occasion de nous délecter de cette musique lors du Concert du premier anniversaire de Brasil Azur… ce Concert de la virtuosité et de l’émotion

 

 

Un artiste aux multiples facettes

 

À Nice, Fernando Alves éprouve toujours un grand plaisir à rencontrer et à travailler aussi bien avec ses amis musiciens de jazz qu’avec ceux qui jouent la rumba gitane. Ils ont tourné ensemble dans le bassin méditerranéen et leurs divers échanges se sont avérés très féconds.

Du récital de chant au récital de Choros, du concert de jazz aux animations brésiliennes ou gitanes, Fernando nous offre toute la maturité d’un musicien au sommet de son art.

 

 

Concert Brasil Azur, 2013

 

 

Tout cela est tempéré par la fraîcheur des talentueux artistes qui l’accompagnent sans cesse, pour notre plus grand plaisir.

 

Je suis donc très honorée de pouvoir organiser le Concert de « Brasil Azur An 3 » autour de compositions inédites de ce grand musicien… Penser que nous le retrouverons bientôt sur scène, avec son groupe d’amis plus doués les uns que les autres, ne peut qu’apporter une lumière précieuse à notre quotidien…

 

Vivement le 6 novembre prochain !

 

 

 


[1]    Musique Populaire Brésilienne.

[2]    Un des plus fameux contrebassistes brésiliens. Il a accompagné d’excellents musiciens tels Gato Barbieri, Wayne Shorter et bien d’autres, parallèlement à sa longue collaboration avec Milton Nascimento.

[3]    Le ‘Bloco de Samba’ est une formation de quartier de 50 à 100 personnes.
Une ‘École de Samba’ est un style de Samba joué par un groupe de 200 à 300 personnes minimum. À Rio, les écoles les plus fameuses peuvent compter jusqu’à 3000 participants…

 

 

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