L’Amazonie brésilienne : entre déforestation et développement durable

Comment ne pas être interpellé par les grandes sécheresses qui ont touché l’Amazonie en 2005 et 2010 ? Ne pas l’être conduirait à négliger la fragilité d’une forêt qui s’étend sur 7 millions de km² dont cinq millions au Brésil. L’évocation de l’espace amazonien nous renvoie aujourd’hui à une double image : celle d’une des dernières terres vierges de la planète, trésor d’une biodiversité à préserver à tout prix, se superposant à l’image des chantiers d’aménagement de routes, de mines, de barrages passant par un défrichement inexorable de la forêt. Ces deux images doivent-elles être nécessairement opposées ou pourrait-on aujourd’hui concevoir que l’homme puisse vivre de la forêt sans pour autant la détruire ? Nous sommes bien ici au cœur de la notion de développement durable présentée lors du sommet de Rio en 1992.

Entre le XV° siècle et 1970, 1% de la forêt amazonienne a disparu. Au cours des trente-cinq années suivantes, c’est l’équivalent de la superficie de la France qui a disparu pour la seule Amazonie brésilienne. Cette accélération de la déforestation doit être replacée dans le contexte des différents types de colonisation subis par l’Amazonie et plus particulièrement par l’Amazonie brésilienne. Le premier type a été pris en charge par l’Etat avec, sous le régime militaire brésilien, une politique claire : occuper et quadriller le territoire pour assurer la souveraineté nationale. A cet objectif géopolitique s’ajoute, dans les années 1970, la volonté de résoudre le problème foncier du Brésil marqué par de très fortes inégalités dans la répartition des terres, comme dans le Nordeste, génératrices de mouvements sociaux de la part des paysans sans terre. Un vaste programme de colonisation agricole a alors été mis en place afin de donner, comme le dit si bien la géographe Martine Droulers, « la terre sans hommes aux hommes sans terre ». Parallèlement fut menée une politique de construction routière qui commença avec la Belém-Brasilia  et se poursuivit avec la transamazonienne.

En ce qui concerne le second type de colonisation, il a été et reste associé aux investissements des sociétés privées à l’origine de la constitution d’immenses domaines d’élevage pouvant dépasser les 600000 hectares, sans oublier les implantations d’usines pour, entre autres, traiter la bauxite ou fabriquer la pâte à papier. Ce développement des activités en Amazonie s’est accompagné d’une croissance de la population qui a été de 157% entre 1970 et 1990 contre 58% dans le reste du Brésil. Cependant, malgré ses 21 millions d’habitants et ses villes millionnaires (Belém et Manaus), l’Amazonie brésilienne  reste la région la plus vide du pays, avec des densités fréquemment inférieures à un habitant au km², ainsi que celle où continue de se développer un front pionnier de grande ampleur en relation avec une culture qui menace plus que jamais sa survie : le soja dont le Brésil est aujourd’hui le second producteur mondial. L’exemple de cet oléagineux originaire d’Extrême-Orient, dont la culture industrielle permet d’engranger des bénéfices records à l’exportation, est tout à fait représentatif des enjeux actuels.

Partie du Sud du Brésil, la culture du soja a progressé inexorablement vers le Nord et donc vers l’Amazonie dans un contexte de croissance de la demande mondiale. Alors qu’il est déjà cultivé sur 21 millions d’hectares au Brésil, dans les 50 prochaines années, la surface globale des plantations devrait tripler.  L’Amazonie en effet dispose d’atouts de taille pour attirer la culture du soja : de l’espace et un réseau fluvial connecté aux grands ports de l’Amazone : Belém et Macapá. Cette invasion du soja qui a essaimé en moins de dix ans dans la plupart des Etats de l’Amazonie s’ajoute à la déforestation issue de l’élevage qui fait du Brésil le premier exportateur de viande de bœuf, 80% de la croissance de ce secteur provenant des fermes du front pionnier. L’équation est ainsi posée : d’un côté un patrimoine forestier mondial représentant le tiers des forêts tropicales et renfermant 30% de la diversité animale et végétale de la planète ; de l’autre, le secteur agricole générateur d’excédents commerciaux pour un pays rêvant de détrôner les Etats-Unis  et l’Union européenne sur le marché agricole. La compatibilité entre les deux est-elle envisageable ? Cela nécessite la mise en application des principes du développement durable ; une application qui s’avère difficile mais néanmoins possible comme le montrent les situations contrastées des Etats brésiliens de l’Amazonie.

Si les Etats du Mato Grosso et du Rondonia restent le paradis du soja et du bétail, il n’en va pas de même dans les Etats de l’Amapa et de l’Acre qui ont entrepris une politique de développement durable articulée autour de la valorisation des richesses de la forêt comme la noix du Brésil et de la mise en place d’un système de certification associé à une gestion de l’environnement à l’échelle locale. Cette dernière consiste à fixer des objectifs de production limités pour pouvoir y revenir vingt-cinq ans après et à inciter les entreprises à établir une carte de tous les arbres de leur zone. La fixation de leur date d’abattage en fonction d’un diamètre minimal de coupe leur permet de décrocher un label vert ouvrant les marchés européen et américain. Cette perspective de conquête de marchés rappelle que la seule sensibilisation est insuffisante à une application d’une politique de développement durable qui ne peut se concevoir concrètement qu’avec la mise en avant d’avantages économiques.

Force est de constater que ce nouveau modèle d’exploitation est à mettre en relation avec un discours sur l’Amazonie qui a changé depuis l’élection du président Lula da Silva avec notamment la création de nouvelles réserves naturelles. Si ces dernières permettent de faire face à l’avancée du front de déforestation, elles ne peuvent empêcher les exploitations clandestines dans un pays où la possession de la terre nourrit un conflit social. Seul le regroupement des différents acteurs autour d’objectifs précis et fixés à l’échelle locale peut permettre de s’orienter vers la perspective d’un équilibre entre les trois pôles du développement durable que sont la société, l’économie et l’environnement en pensant non seulement aux générations actuelles mais aussi, et surtout, aux générations futures.

Il s’agit là d’un véritable défi pour l’avenir de la forêt amazonienne, un défi indissociable d’une volonté politique tant nationale que régionale et locale afin de considérer le massif forestier comme un atout et non comme un obstacle. Comme le rappelle l’ancien gouverneur de l’Etat de l’Amazonas, Eduardo Braga, « il  faut raisonner autrement sur la forêt : la considérer comme une valeur économique lorsque les arbres sont debout et non plus abattus ».

Les chiffres sur l’évolution de la déforestation semblent encourageants. Izabella Teixeira, ministre brésilienne de l’environnement, a annoncé qu’entre août 2011 et juillet 2012, la déforestation en Amazonie a atteint son niveau le plus bas depuis la création de statistiques en 1988. Au cours de cette période, 465000 hectares ont été déboisés soit une baisse de 27% par rapport à l’année précédente. A ces chiffres encourageants et à l’annonce par Mme Teixeira de la mise en place d’un nouveau système électronique pour imposer des amendes aux contrevenants, peut être opposée la réforme du code forestier en 2012 favorisant les grands propriétaires et dénoncée par ses opposants comme une menace pour les forêts.

Par ailleurs, n’oublions pas les dommages irréparables causés à l’environnement par l’actuel chantier de construction du barrage de Belo Monte dans l’Etat du Pará. Cet ouvrage est appelé à devenir le troisième plus grand barrage du monde en mesure de fournir, d’ici 2019, 11% de l’énergie électrique consommée au Brésil. La mobilisation des Indiens chassés de leurs terres et les recours en justice ayant interrompu les travaux à plusieurs reprises apparaissent bien loin des exigences d’un développement durable. Il est indispensable de rappeler que les forêts humides ne sont pas seulement des réservoirs de biodiversité et de carbone mais qu’elles contribuent aussi largement à alimenter en pluie les régions tropicales. La construction du barrage de Belo Monte, le premier d’une série d’autres barrages sur les cours d’eau amazoniens, risque donc de remettre en question les activités agricoles du bassin amazonien qui génèrent actuellement environ 15 milliards de dollars par an, selon l’institut géographique et statistique brésilien, mais également d’affecter le débit des fleuves et donc l’efficacité des mêmes barrages hydroélectriques.

La recherche d’un équilibre aux différentes échelles s’avère donc indispensable à l’application d’une politique de développement durable qui nécessite, dans le cas de l’Amazonie, « de ne pas baisser la garde » pour reprendre les propos de Paulo Moutinho, le responsable de l’Institut de recherche amazonienne.

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