L’île de Marajó, au Brésil, se situe à l’embouchure du fleuve Amazone, sur la ligne de l’équateur.

Lorsque j’y ai séjourné quelques jours au mois d’août dernier, ai été captivée par la beauté de cette île, aux paysages purs et préservés.

Les plages, presque désertiques malgré leur beauté extrême, conviennent à la perfection à ceux qui supportent mal les odeurs confondues d’huiles solaires et de concentrations humaines…

 

Quelque chose m’a instantanément frappée en arrivant à l’une d’elles : on dirait que Daniel Buren était lui aussi passé par ces lieux paradisiaques et lointains… et y avait créé, avant l’heure, un premier jet d’« Excentrique(s) ».

C’est ce nom qu’il avait donné à son exposition à Paris, réalisée dans le cadre de la «Monumenta 2012 ».

 

Comme le savent les habitués de ce rendez-vous annuel d’art contemporain au Grand Palais, il s’agit chaque année de construire in situ une œuvre inédite qui occupe les 13500 m² et les 45 m de hauteur de la magnifique Nef. Cette oeuvre, qui naît donc de et dans l’espace dans laquelle elle s’inscrit, est détruite après cette exposition… peut-être pour mieux montrer le côté éphémère de toute chose… ou pour mieux transmettre à chaque visiteur le sentiment d’une rencontre privilégiée… N’est-ce pas dans la fugacité de l’avènement qu’a lieu le saisissement le plus abouti de l’être ?

 

C’est en tout cas ce que l’on peut ressentir sur cette plage de Marajó. La fascination est instantanée et totale. L’osmose entre l’ajout et la réalité préexistante est telle que, sans l’approprier, l’ « œuvre » semble plus que jamais « emprunter le paysage », comme l’aurait sans doute dit Buren lui-même. Du coup, on appréhende autrement l’espace environnant.

 

Revenons à « Excentrique(s) » : par le jeu des lumières et des transparences et grâce à l’utilisation d’outils visuels qui lui sont propres, l’artiste français a su modifier notre propre regard sur la Nef du Grand Palais. Ce qui m’intéresse ici de relever, c’est que, en dehors de la figure du cercle, il y a mis en relief un outil particulier : les pieds de ces cercles colorés. Ils formaient visuellement une sorte de forêt, transformée par les réflexions de lumière à travers les cercles.

 

 

 

 

Cet outil rejoint l’élément invariable des œuvres de Daniel Buren, à savoir les bandes verticales alternées, blanches et colorées, qu’il avait remarquées sur un tissu du marché Saint-Pierre en 1965. Ce motif lui apparaît alors comme « la base d’un vocabulaire à inventer ». A l’instar de la ponctuation dans une phrase, cet « outil visuel » peut, selon lui, révéler des rythmes, attirer l’attention tout en s’intégrant à l’ensemble observé, déclencher un autre regard. En particulier, il peut faire prendre conscience, tout au moins aux observateurs les plus humbles, que la perception de la réalité est toujours fragmentée.

 

 

 

 

Quel aurait été l’artiste ayant eu la même intuition sur la plage de Marajó ?

Sachant que Daniel Buren se plaît à occuper la rue et les espaces ouverts, de telle sorte que son œuvre s’impose malgré l’environnement, et en fonction de ce dernier, une idée espiègle m’a traversé l’esprit : pourquoi n’aurait-il pas un jour, ravi de son anonymat sur l’île, laissé sa signature dans l’ombre baignée de lumière de cet endroit magique ?

 

 

 

 

Ou serait-ce l’inverse ? L’artiste brésilien inconnu de ce sable blanc aurait peut-être un jour inspiré Buren…

Car, comme au Grand Palais, la vision de l’ « œuvre » de Marajó est également changeante, différemment appréhendée en fonction de la déambulation, de la lumière, de l’imagination.

 

 

 

 

Quant à la couleur franche, qui a toujours été un élément crucial dans l’œuvre de Buren, elle semble, aussi bien aux bords (ouverts) de l’Amazone qu’aux bords (fermés) de la Seine, s’adapter sans cesse au regard et au mouvement. On la découvre, au fur et à mesure de nos pas.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Si dissemblances existent, les accords sont donc multiples entre ces deux espaces que rien ne semblait rapprocher. Le plus important étant probablement la réalisation en live du souhait de Buren lors de chacune de ses créations : qu’à travers la rigidité colorée des bâtons qui font fenêtre, tout un monde que l’on croyait perdu puisse s’offrir à nouveau, sans rien figer…

 

 

 

 

Dans le jeu des lumières et des éclairages de cette réalité presque inaugurale, une seule interrogation a assombri mon paysage : saurons-nous, dans l’avenir, respecter cette nature qui, redonnée en cadeau, se fait image pure de temps lointains ?

Espérons-le, de tout cœur…

 

 

 

 
(Note : Toutes les photos ici utilisées ont été prises par Filomena Iooss. Elles ne devront en aucun cas être utilisées dans un but commercial)