Situées aux Baux-de-Provence, les carrières du Val d’Enfer ont été exploitées à des fins industrielles jusqu’en 1935. Depuis le II^e siècle avant J.-C., leurs pierres blanches réputées ont été utilisées pour la construction de Glanum, cité de l’empire romain à côté de Saint Rémy de Provence, du village médiéval des Baux-de-Provence et du Château des Baux.

La beauté minérale et singulière de ces carrières a toujours su inspirer des artistes. Dante y aurait trouvé l’espace idéal pour sa Divine Comédie, Jean Cocteau a décidé d’y tourner, en 1960, Le Testament d’Orphée.

Se détachant de plus en plus de son histoire industrielle, ce site est devenu, depuis 1977, un pôle culturel, animé par de multiples spectacles et expositions.

Depuis le mois de mars dernier et jusqu’en Janvier 2013, une magnifique exposition est présentée dans cet espace majestueux. À travers un voyage sonore et visuel au long de leurs œuvres d’art dématérialisées, le visiteur se laisse entièrement envelopper par les univers picturaux de Van Gogh et de Gauguin. Car les murs et le sol des carrières deviennent supports de leurs peintures, évoluant au rythme d’une musique qui est mise au service de l’image. Sublime ! L’émotion bat son plein dans cet espace de plus de 6000 m², comme d’ailleurs le désirait Gianfranco Iannuzzi, le réalisateur de ce spectacle : «  Je souhaite que le public quitte sa posture de réception classique en l’amenant au cœur de l’œuvre, sur une immense scène où il deviendrait lui-même ‘‘acteur’’ ». La conception tridimensionnelle de la mise en scène favorise en effet l’immersion complète dans la couleur et dans le rêve. Quelques photos que j’ai prises en mai dernier en donneront un aperçu et inciteront peut-être certains lecteurs à s’y rendre.

Environ 400 tableaux des deux peintres sont ainsi juxtaposés, comme pour mieux raconter, sans paroles, la relation légendaire entre ces deux hommes. S’ils se sont indiscutablement influencés dans leurs peintures respectives, il est vrai aussi qu’ils se sont beaucoup confrontés, parfois dans la violence. Je rappelle brièvement, à ce titre, quelques épisodes de leurs vies :

Vincent Van Gogh naît en 1853 aux Pays Bas et est fils d’un pasteur. Cela explique sans doute qu’il oscille continuellement entre une vocation religieuse et une vocation artistique. Aîné d’une fratrie de six enfants, il est particulièrement proche de Théo, son cadet de trois ans. Envoyé en pension à 11 ans, il gardera toute sa vie, semble-t-il, un sentiment d’exil, qui le rendra souvent dépressif. L’art lui permet de sublimer son désespoir. Dans ses premiers tableaux, il rend hommage au monde des paysans et des ouvriers. Son premier chef-d’œuvre, signé en 1885, s’intitule précisément Les mangeurs de pommes de terre.

Après la mort de son père, Vincent se sent libéré et approfondit ses recherches sur l’art et la couleur. Séduit par le sud de la France, il s’installe à Arles en février 1988. Il y loue une maison, la « Maison jaune », où il crée « L’Atelier du Midi ». Il espère que ses amis l’y rejoindront pour mettre en place son ancien projet de création d’un « phalanstère d’artistes ». Période très fertile, où le peintre s’inspire profondément de la campagne provençale. Paul Gauguin est le premier à le rejoindre dans son atelier.

Né à Paris en 1848, Gauguin avait commencé à fréquenter le monde artistique en tant que collectionneur mécène et amateur d’art. Ayant abandonné son métier d’agent de change pour se consacrer à la peinture, il s’installe à Pont-Aven en 1886. C’est l’année de sa première rencontre avec Vincent et Théo Van Gogh. Après plusieurs voyages aux Indes et en Martinique, où Gauguin peint des tableaux aux couleurs flamboyantes, il est contraint de rentrer à Paris en 1887, atteint de paludisme. Un an plus tard, il accepte l’invitation de Van Gogh, avec qui il avait entretenu une importante correspondance. Il le rejoint donc à Arles, peut-être pour mieux trouver sa propre voie.

L’histoire de vie des deux peintres à « L’Atelier du Midi » est brève et dense. Tous les deux héritent de l’impressionnisme et leurs échanges sont féconds. Mais l’atmosphère devient vite étouffante. Malgré les couleurs solaires presque irradiantes qui jaillissent de leurs tableaux respectifs, Gauguin n’aime pas la ville d’Arles et n’est pas sensible à la lumière de la Méditerranée, que Van Gogh aime passionnément. Les problèmes d’argent exacerbent rapidement les incompatibilités d’humeur des deux artistes.

L’Atelier prend fin le 23 décembre 1888, à la suite d’un geste de démence de Van Gogh qui, apprenant le retour de Gauguin à Pont-Aven, se mutile une oreille avec un rasoir. Les deux artistes ne se reverront plus. Gauguin partira à Tahiti, où il mourra en 1903. Van Gogh se donnera la mort en 1890.

 

 

• Petit conseil aux lecteurs qui auront le souhait et la possibilité d’assister à ce spectacle grandiose : habillez-vous chaudement. Les carrières sont froides et vous aurez envie de faire et refaire ce voyage pictural ; les Baux sont aussi très venteux…