Le 5 octobre 1419, après 30 ans de combats et d’habiles négociations, les Comtes de Savoie prennent possession du Comté de Nice, cédé par la maison d’Anjou, d’une petite pointe orientale de la Provence, et d’une petite partie occidentale de la riviera du Ponant Ligure.

Les Ducs de Savoie gagnent avec le Comté de Nice un accès à la mer: ils  pacifient la région, développent les infrastructures routières entre la côte et le Piémont, favorisant le commerce du sel (jusqu’à 150 mulets par jour, soit à peu près 5500 tonnes par an), du bois de l’arrière-pays, des céréales de la plaine du Pô, des poissons de Méditerranée en saumure; en parallèle, les chantiers navals et les arsenaux  francs se développent à Nice et Villefranche, donnant du travail à la population, et permettant l’apparition d’une bourgeoisie commerçante et artisanale aisée, capable de financer les commandes aux peintres.

Entre les épidémies, les guerres locales et les sièges de François 1^er, la population niçoise souffre beaucoup: les ordres religieux dominicains et franciscains  essaient de répondre au désarroi des fidèles en les orientant vers la divinité. Dans ce but, les retables, véritables livres d’images, ont une double fonction :

– ils explicitent le message divin auprès des populations analphabètes,

– ils représentent des prières susceptibles d’intercéder auprès des autorités célestes.

Dans le Comté de Nice, plusieurs peintres exécuteront ces retables destinés à l’adoration populaire: sans être une véritable école, ils forment  le mouvement des Primitifs Niçois : le plus connu d’entre eux est Ludovic Bréa. Son premier retable connu date de 1475; jusqu’en 1560, Louis Bréa, puis ses collaborateurs et élèves, dont son frère Antoine et le fils de celui-ci François, vont décorer de nombreuses chapelles et églises du Comté de Nice et de Ligurie : de Six Four à Gênes, une quarantaine de retables peuvent être attribués avec certitude à Louis Bréa.

Constitués de plusieurs panneaux de bois, les retables que l’on trouve dans l’arrière-pays étaient le plus souvent peints à l’atelier niçois puis transportés à dos de mule et assemblés dans la chapelle de destination. L’ornementation de l’encadrement faisait partie intégrante du retable et était notifiée dans le contrat.

Après le concile de Trente (1545 à 1563), qui modifie les codes liturgiques, les commandes de retable se tarissent, d’autant plus que se développe la peinture sur toile.

L’agencement des panneaux  a connu des évolutions au cours du temps : le retable niçois traditionnel était composé d’un panneau central qui développait le thème du tableau, entouré deux panneaux latéraux, ce registre principal étant surmonté de plusieurs petits panneaux qui représentaient divers saints ; au-dessous du registre principal, une prédelle en plusieurs panneaux séparait le retable de l’autel sur lequel il reposait : l’exemple type est ce Baptême du Christ de Louis Bréa, qui se trouve à Taggia, et dont nous parlerons une autre fois.

Plus tard, les différents panneaux ont fini par fusionner en un grand panneau central. C’est le cas pour cette Nativité de l’église de La Brigue, peinte en 1514 par Louis Bréa : un grand panneau unique de 2.96 m X 2 m.

Le thème de l’adoration de l’enfant est plus fréquent en Ligurie que dans le Comté de Nice.

Dans une étable à 3 ouvertures larges sur le paysage, St Joseph âgé, est agenouillé à droite de l’enfant, face à Marie en position symétrique.

Tout le tableau est organisé pour faire converger le regard et l’esprit saint sur Jésus: malheureusement, des angelots grassouillets ont été rajoutés autour de lui, probablement au 18ème siècle. « Le beau petit enfant repose sur le sol, mais étendu sur un pan du manteau de la Vierge, car c’est elle qui l’a mis au monde » (Germaine Leclerc).

Marie a ses cheveux blonds libres sur les épaules puisqu’elle est supposée être toujours vierge, les traits de son visage sont bien dessinés. Son manteau est strié d’or, sa robe et son auréole sont gravées d’odes à sa gloire.

Le donateur, petit comme dans la tradition, se raccroche au manteau de Joseph.

Comme l’âne et le bœuf, il contemple modestement la scène à l’écart, dans l’ombre.

Comme toujours chez Louis Bréa, le paysage est particulièrement soigné, avec l’arbre mort et l’arbre de vie : entre eux, l’ange tient gracieusement son phylactère, habillé de rose sur le fond bleu clair du ciel, à la verticale de Jésus. Il annonce aux bergers « veillant la nuit dans la montagne » l’arrivée du messie : saisis par la lumière venue d’en haut, ils arrêtent leur musique.

L’ensemble dégage une sérénité en harmonie avec l’atmosphère paisible du village.

Bibliographie :

– Cercle Bréa, La Route des Bréa

– Leclerc, Retables des Primitifs Niçois