Re-pulser, Re-Puz/zler

Avant-hier soir, je n’étais pas au Brésil mais j’y suis peut-être allé. J’ai dansé un pont entre nous, moi et les hommes, entre tous les hommes, entre les continents, tous les continents. J’ai regardé l’Histoire autrement, pas simplement comme un sujet d’étude rigide mais en sachant qu’elle est faite de matière humaine. Le musée de l’homme s’est déployé sous mes yeux, il fallait que je me le rappelle, que je me souvienne que toutes les histoires se font ensemble, qu’elles se mélangent pour nous construire individuellement.

 

 

 

 

 

Il fallait que je me souvienne que nos solitudes ne sont que le fruit de nos murs intérieurs et que bien souvent nous ne sommes cloisonnés que par nous-mêmes, bien plus que par les autres ; nous sommes des prisonniers de l’intérieur oubliant trop souvent qu’il nous suffit de pousser une porte. Un mur est un obstacle qui n’est là que pour qu’on le dépasse. Il arrive qu’un spectacle de danse permettre d’escalader des murs, qu’il nous permettre de grimper, de bouger. Oui j’étais assis et j’ai bougé.

Je suis allé voir le spectacle de danse intitulé Puz/zle créé et chorégraphié par Sidi Larbi Cherkaoui, présenté au Théâtre de Nice du 9 au 12 Janvier et j’ai dansé sur place. Les morceaux se recollent. Ce spectacle a été créé à l’origine pour la Carrière Boulbon à l’occasion du festival d’Avignon, il y a onze danseurs, sept chanteurs et un musicien, tous en direct qui s’agitent pour nous remuer.

La musique est représentée par le groupe polyphonique corse A Filetta qui s’harmonise avec la voix envoûtante de Fadia Tomb El-Hage et la flûte Ophique du japonais Kazunari Abe ainsi que sa très belle voix forte qui déchirera l’espace. Le groupe de chanteur présent du début à la fin renvoie évidemment au chœur de la tragédie Antique.

Puz/zle est aussi une scénographie mobile comme un jeu de Légo, manipulable à volonté, elle se monte et se démonte pour nous offrir des espaces qui sans cesse se renouvellent. Les danseurs tombent et se relèvent à l’image de ce décor qui évolue en permanence, la vie avance et se ploie aux exigences de la danse. La recherche de nouveaux espaces en soi et hors de soi s’opère à chaque instant, nous allons de découvertes en découvertes et à chaque espace nous nous rencontrons de plus en plus.

Aujourd’hui nous vivons souvent dans des espaces si réduits que nous nous sommes habitués au caractère étriqué de nos intérieurs, nous oublions de casser nos murs pour regarder et affronter l’horizon. Ce spectacle nous rappelle que cet horizon ne se conquiert pas seul, que nous sommes des êtres de filiation et que notre savoir n’est pas uniquement le fruit de notre individualité, et que sans le savoir nous utilisons les richesses accumulées par ceux qui ne sont plus là et qu’en somme nous sommes des « continuateurs ».

 

Cette masse de danseurs qui se forme, se fait, se défait vient sans cesse nous dire qu’une chute n’est pas une fin mais qu’elle nous apprend toujours un nouveau pas de danse. Après une chute, on apprend à marcher autrement mais surtout que nous ne sommes pas seuls, certes il y a des solos où nous nous bagarrons avec les autres qui sont en nous.

L’Art joue son rôle dans cette grande fresque animée par une dizaine de danseurs, il est le résultat d’une conquête d’hommes et de femmes, de véritables chercheurs qui ont creusé et se sont creusés pour découvrir qui ils sont, ils dansent et luttent.

 

 

 

 

L’Art traverse les âges pour nous transmettre ce que nous avons acquis, il marche jusqu’à nous pour venir nous parler sans mot. Les œuvres ne parlent pas, elles murmurent leurs secrets à ceux qui peuvent et savent les recevoir ; mais l’Histoire, la Danse, la Musique et l’Art avancent et donnent naissance à une porte en soi, la naissance d’un être-horizon vient, un nouveau continent apparaît, les murs tombent, un Brésil naît, un pont se construit, une route se dessine, son soi vient, le soi des autres aussi pour nous dire : sois danse ! Sois marche ! Soi toi !

 

 
PUZ/ZLE chorégraphie de Sidi Larbi Cherkaoui

Création  · Avec Navala Chaudhari, Leif Federico Firnhaber, Ben Fury, Louise Michel Jackson, Kazutomi Kozuki, Elias Lazaridis, Sang-Hun Lee, Shintaro Oue, Valgerdur Rúnars-Dóttir,  Helder Seabra, Michael Watts  et les musiciens Kazunari Abe, Fadia Tomb El-Hage  et le groupe A Filetta  · Conseiller artistique Damien Jalet  ·  Musique Jean-Claude Acquaviva, Kazunari Abe, Olga Wojciechowska  · Musique additionnelle Bruno Coulais, Tavagna et musiques traditionnelles de Corse, du Japon et du Moyen-Orient ·  Scénographie Filip Peeters, Sidi Larbi Cherkaoui  · Lumière Adam Carrée  · Costumes Miharu Toriyama  · Vidéo Paul Van Caudenberg  · Conseil artistique Guy Cools, An-Marie Lambrechts, Gabriele Miracle  · Conseil costumes et habilleuse Elisabeth Kinn Svensson  · Assistante à la chorégraphie Nienke Reehorst  · Assistants chorégraphes Jon Filip Fahlstrøm, Helder Seabra  · Production Eastman, Festival d’Avignon, De Singel International Arts Campus – Anvers, Sadler’s Wells – Londres, Opéra de Lille, Theaterfestival Boulevard – ‘s Hertogenbosch, Les Théâtres de la Ville de Luxembourg, La Filature Scène nationale – Mulhouse, Festspielhaus – Sankt-Pölten, Festival Equilibrio – Rome, Düsseldorf Festival  · Avec le soutien de De Warande – Turnhout , de La Fondation BNP-Paribas , des Autorités flamandes.

Pour ceux et celles qui souhaitent découvrir le travail de Sidi Larbi Charkoui et de tous ces danseurs : www.east-man.be