São Paulo, « je t’aime moi non plus »

Solange Bailliart

 

Il est un fait qu’en dehors d’un tourisme professionnel, on ne s’arrête pas à São Paulo sauf pour récupérer un vol qui conduira le touriste vers une des plages qui bordent les 6000 kilomètres de côte brésilienne.

Cette mégapole longue de plus de100 kilomètres, peuplée de 11 millions d’individus (20 avec sa gigantesque périphérie), où s’élève une forêt d’immeubles à perte de vue, ne fait pas vraiment rêver. Située à une altitude de 1000 mètres, à une centaine de kilomètres de la côte, São Paulo, poumon économique du Brésil, est aujourd’hui la plus urbanisée des villes brésiliennes.

 

 

Vue sur São Paulo depuis l’Avenida Paulista

 

 

São Paulo est née le jour de la Saint-Paul

 

Son histoire remonte au XVIème siècle avec l’arrivée de la première mission jésuite venue pour évangéliser les tribus indiennes des hauts plateaux. Elle tire son nom de la première messe qui a été célébrée au Pátio do Colégio, le 25 janvier 1554, le jour de la Saint-Paul.

 

Entourée de forêts et de montagnes, traversée par de nombreux cours d’eau, posée sur un sol marécageux impropre à la culture, Saint-Paul et ses quelques centaines d’habitants (indiens amis, esclaves, portugais et jésuites) restera pendant plus d’un siècle isolée des routes commerciales qui lui préfèrent les villes côtières.

Il faut attendre la découverte de l’or dans le Minas Gerais au XVIIème siècle pour qu’elle sorte de l’obscurité. Mais ce sont surtout ses Bandeiras, expéditions parties de São Paulo à la conquête de l’intérieur du pays à la recherche des minéraux précieux et des esclaves, qui la désenclaveront totalement.

 

Comme nous l’avons vu dans les précédents articles publiés sur ce site, au début du XIXème siècle, avec l’essor de la culture du café, une nouvelle ère de développement s’annonce sous le règne des Barons du café. La première fazenda de café est fondée en 1817 le long d’un sentier en terre bordé de champs de café.

 

 

Palais d’un Baron du Café (reproduction)

 

 

Pour acheminer le café vers l’extérieur, la ville fait appel aux Anglais qui construisent le premier chemin de fer, le São Paulo Railway reliant la ville au port de Santos. Cette nouvelle économie du café apporte avec elle une nouvelle vague de migrants. D’abord des esclaves noirs puis, après l’abolition de l’esclavage en 1888, l’État brésilien se tourne vers le Japon avec lequel il signe un Traité d’amitié, de commerce et de navigation. En 1908, le premier bateau transportant cent soixante cinq familles japonaises arrive au port de Santos. À partir de ce moment, le flux de migrants nippons ne cessera de grandir pour former une communauté de plus de cent quatre vingt dix mille personnes avant la seconde guerre mondiale. Aujourd’hui, São Paulo est la première ville nippone en dehors du Japon, avec plus de 1,3 millions de Japonais.

 

 

Liberdade, le quartier japonais

 

 

Avec la crise du café à partir des années 1920, São Paulo vit sa révolution industrielle, qui la transforme en centre industriel et économique du Brésil. Le gouvernement profitera de la suppression des importations pendant et après la Seconde Guerre mondiale pour développer son industrie locale, en particulier l’automobile, sous le gouvernement de Juscelino Kubitschek.

 

São Paulo accueillera des dizaines de milliers d’Européens fuyant des situations de crise économique et les guerres, ainsi qu’une main-d’œuvre bon marché venue, quant à elle, des États du Nord-Est (les Nordestinos). L’époque de la dictature militaire (1964 – 1985) renforce la position économique de la ville. Puis la modernisation culturelle et le renouveau politique marquent la ville puisque c’est ici qu’est né le Parti des Travailleurs dans les années 1980 – 1985, parti qui a mené l’ouvrier syndicaliste Luis Inácio Lula da Silva à la présidence de la République, en 2003. C’est également dans São Paulo que naîtra, dix ans plus tard, en juin 2013, la grande fronde contestataire populaire contre la politique du gouvernement de Dilma Rousseff, qui fera descendre dans la rue plusieurs millions de Brésiliens à travers tout le pays.

 

 

São Paulo, entre désamour et amour

 

Pour y avoir vécu pendant quatre ans (entre 2009 et 2013), la relation que j’ai entretenue avec cette mégapole a oscillé entre désamour et amour.

 

Désamour d’abord pour la gangrène de son organisation et son épidémie d’urbanisation. São Paulo se détruit sans cesse, balayant sans vergogne son passé et sa nature.

 

 

Embouteillages à la sortie des bureaux 

 

 

Elle est une dame qui n’aime pas le lifting, abandonnant sans émotion ses vieux atours, comme le Centro, son cœur historique, pour se parer de nouveaux. Elle se reconstruit toujours plus haute et plus asphyxiante.

 

 

Vestiges du passé sur l’Avenida Paulista

 

 

Pátio do Colégio

 

 

La tour Banespa

 

 

Asphyxie de son éco-climat, de sa mobilité, de ses cours d’eau, de sa qualité de vie, de la santé physique et mentale de ses habitants. Désamour aussi à cause de la difficile intégration sociale de son peuple. Bien qu’ayant absorbé avec une grande rapidité plusieurs vagues de migrants (Portugais, Italiens, Japonais, Libanais, Allemands, Coréens, Chinois, Mineiros, Indiens, Nordestins, Boliviens…), cette cité pluriculturelle en apparence, continue à défendre ses origines blanches à travers un racisme économique entretenu par une inégalité à l’accès à l’éducation, à la santé et au logement.

 

 

Favela Paraisópolis

 

 

Désamour enfin face à son incapacité à traquer la violence, qui a fini par s’immiscer, de façon insidieuse, dans le mental de tous ses habitants pour devenir un septième sens, celui de la gestion du risque d’être agressé.

 

Mais amour surtout. Pour sa mosaïque de cultures construite au fil des flux migratoires qui en fait une ville du monde connectée au monde. Le Pauliste absorbe avec boulimie tout ce qui vient d’ailleurs, le digère et le transforme pour créer.

 

 

Street Art – Eduardo Kobra – Pinheiros

 

 

Une créativité vigoureuse, libre et généreuse à l’image de son street-art qui fait l’identité de la ville ; de ses designers qui puisent à l’infini leur inspiration dans la luxuriance de la nature brésilienne ; de ses nuits qui maintiennent la ville éveillée ; de ses milliers de projets jaillissant à tout moment de l’esprit en ébullition de ses habitants, toujours prêts à gagner un peu plus.

 

 

Cidade Jardim, le dernier shopping grand luxe

 

 


Bâtiment végétal à Vila Madalena

 

 

Une forme toute particulière de créativité de la survie qui permet de relever les défis quotidiens d’une mégapole par bien des aspects inhumaine. Les transports sont chaotiques ? Les droits des citoyens ne sont pas entendus ? Les services publics défaillants ? Qu’à cela ne tienne, le Pauliste transforme un problème en opportunité. La tablette, le smartphone et le portable sont devenus sa troisième main. Aux arrêts de bus, dans les taxis, dans le métro, dans les files d’attente, de jour comme de nuit, il chate, navigue sur la toile, reste en contact avec le monde et son monde. Il est devenu, en quelques années, le champion des réseaux sociaux qu’il utilise à des fins personnelles ou pour mobiliser l’Opinion publique, comme l’ont démontré les grandes manifestations de juin 2013 contre l’augmentation du prix des transports. Mais par dessus tout, mon amour pour cette ville vient du peuple pauliste et de la relation qu’il offre à celui qui passe ou s’installe chez lui.

 

 

Mercado Central

 

 

Bibliothèque publique au Parque Ibirapuera

 

 

O povo paulistano (le peuple paulistain) est à l’image de sa palette de couleurs (blanc, noir, brun, jaune et marron), une combinaison d’émotions qui vous remplit le cœur d’allégresse à tous les moments de la journée : souriant même quand il court après un bus bondé qui le ramènera chez lui après des heures d’embouteillage, généreux quand il vous ouvre sa table pour un churrasco (un barbecue) de midi qui s’éternise jusqu’aux premières lueurs de la nuit, serviable au point de se mettre en quatre pour vous apporter une solution, optimiste malgré les nombreux écueils qu’il rencontre dans son quotidien. Sans oublier cette cordialité que l’on ne trouve qu’au Brésil et qui s’exprime à travers l’abraço brasileiro, cette accolade enveloppante, sensuelle et si chaleureuse qu’il est doux de recevoir et d’apprendre à donner.

 

São Paulo ne s’offre pas, comme Rio de Janeiro, mais elle se mérite et se révèle à l’image d’une femme, tantôt capricieuse, tantôt attachante, en tous les cas riche et énigmatique. Et c’est ce qui fait tout son charme.

 

 

Extraits du guide avec supplément d’âme
Solange Bailliart, « Portraits de São Paulo » aux Éditions Hikari