L’enjeu de l’Acre

Lors de notre précédent article sur le caoutchouc amazonien, nous avons souligné que son extraction fut à l’origine de la création des villes de Manaus et de Belém et que l’on se préoccupa rapidement d’aménager des voies de communication pour exporter le caoutchouc.

 

 

En Bolivie, on voulut tout d’abord aménager une voie fluviale empruntant le rio Mamoré en territoire bolivien, puis le rio Madeira au Brésil.

 

Mais le tracé présentait de grands obstacles naturels, avec vingt séries de rapides empêchant la navigation. On pensa alors à construire une voie ferrée qui remplacerait la partie la plus difficile du tronçon fluvial. En 1867, les ingénieurs José et Francisco Keller organisèrent une grande expédition dans la région des rapides du rio [fleuve] Madeira, pour trouver une forme plus adaptée de transport du caoutchouc et en même temps le meilleur tracé d’une éventuelle voie ferrée. Comme la navigation fluviale se révéla trop compliquée, il fut décidé de se focaliser sur la construction d’une voie ferrée, dont l’ingénieur américain George Earl Church obtint en 1869 la concession.

Cependant l’extraction incontrôlée du caoutchouc finit par provoquer un conflit international. Les travailleurs brésiliens pénétraient toujours plus avant dans les forêts du territoire bolivien à la recherche de nouveaux arbres à caoutchouc engendrant des accrochages qui, rassemblés, constituèrent la Guerre de l’Acre.

Comme la Questão do Acre (Question de l’Acre) devenait de plus en plus préoccupante, un traité entre le Brésil et la Bolivie finit par intervenir à Petrópolis le 17 novembre 1903 qui garantissait au Brésil la pleine possession de la région de l’Acre, qui, avec une superficie de plus de cent cinquante mille km2 sur les contreforts des Andes, constitue la dernière partie du territoire brésilien à avoir été incorporée au pays et qui a acquis le statut d’État en 1962.

En échange, le Brésil cédait des terres qui appartenaient à l’État du Mato Grosso, donnait à la Bolivie deux millions de livres sterling et s’engageait à construire une ligne ferroviaire reliant le Mamoré et le Madeira qui assurerait le libre accès des produits boliviens au premier rang desquels se trouvait le caoutchouc, au port brésilien de Belém do Pará à l’embouchure de l’Amazone.

Le conflit de l’Acre s’étendit également au Pérou, car depuis 1867 le Brésil avait acquis des droits sur cette région qui avaient été faussement cédés par la Bolivie, alors qu’ils appartenaient au Pérou. Un conflit frontalier entre le Perou et le Brésil se termina par les traités Velarde-Rio Branco et Polo-Sánchez Bustamante de 1909.

On finit donc par construire la ligne ferroviaire Madeira-Mamoré, connue également comme le Ferrovia do Diabo (chemin de fer du diable) car elle coûta la vie de près de six mille ouvriers. La construction de la ligne commença en 1907 et fut achevée en 1912, avec la claire volonté d’intégrer la région de l’Acre dans le marché mondial.

Cependant, la construction de ce chemin de fer n’eut pas le succès escompté par le Brésil et la Bolivie car la chute du prix du latex sur le marché mondial ruina le commerce du caoutchouc. En outre deux autres lignes ferroviaires furent construites au Chili et en Argentine qui concurrencèrent le chemin de fer Madeira Mamoré sans compter la mise en service du canal de Panama le 15 août 1914.

Encore fallait-il entretenir cette ligne qui était fortement menacée par la pluviosité élevée de la forêt amazonienne, provoquant la destruction de tronçons entiers de la voie et même de ponts. Finalement le chemin de fer fut déclassé dans les années 1930 et abandonné en 1972 lorsqu’il fut remplacé par la route transamazonienne.

Mais le caoutchouc avait enrichi l’Amazonie. La ville brésilienne de Manaus était considérée à cette époque comme la plus développée du Brésil : c’était la seule cité du pays équipée de l’éclairage électrique et de systèmes d’adduction d’eau et d’assainissement.

Manaus jouissait de technologies que les villes du sud du Brésil ne possédaient pas, telles que le tramway électrique, des avenues construites sur des marais asséchés et disposait de remarquables édifices comme le Théâtre Amazonas, le Palais du Gouvernement, le Marché Municipal et la Maison de la Douane.

Grâce au caoutchouc, le revenu par tête de Manaus était deux fois supérieur à celui de la région productrice de café de São Paulo et la région amazonienne représentait à l’orée du XXe siècle près de quarante pour cent de l’ensemble des exportations du Brésil.

 

 

(À SUIVRE)

 

 

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