BOUILLON CULTUREL DE L’AUTOMNE 2017

 

« Nice, que le temps n’est pas arrivé à effacer de ma mémoire, est un peu comme ces élégantes que l’on retrouve sur les aquarelles peintes par les frères Trachel qui arpentaient, au début du dix-neuvième siècle, la promenade des Anglais, celles qu’Alexandre Dumas qualifiait de « population à ombrelles, à voiles et à brodequins verts » : à force d’apercevoir tous les jours des silhouettes élancées, on croyait connaître ces belles inconnues. Certains les disaient princesses. D’autres, aventurières ou demi-mondaines, […] mais en vérité, on ignorait tout d’elles. »

Patrice Montagu-Williams, Nice : bien plus qu’une promenade

 

 

« La baie des Anges », Henri Matisse

 

 

Patrice Montagu-Williams, écrivain invité à notre Bouillon culturel de l’Automne 2017, a passé son enfance et son adolescence à Nice. La vie l’a ensuite amené vers des terres lointaines. À Rio de Janeiro, il connaît sa future épouse. Occasion pour lui d’écrire « Brésil. Dans les pas du géant ». Ils vivent en Grèce depuis sept ans.

 

 

Patrice Montagu-Williams et Filomena Juncker

 

 

Dans « Nice : bien plus qu’une promenade… », livre sorti en librairie le mois dernier (Novembre 2017) et qui a fait l’objet de notre rencontre, notre auteur ne signe pas un retour nostalgique à la ville qui l’a vu grandir. Les racines, « une fois tranchées », précise-t-il, lucide, « ne repoussent jamais ». Il s’agit tout d’abord pour lui de réparer une injustice : « L’injustice d’une ville largement méconnue dont je voudrais arracher le masque de préjugés et d’idées reçues qui, souvent, la défigurent ». Il ponctue son propre récit de trois entretiens avec des personnalités culturelles locales : André Giordan, Alex Benvenuto et Patrick Mottard.

 

C’est ainsi qu’au fil des pages, l’auteur et ses invités nous dévoilent, avec pertinence et minutie, des aspects parfois insoupçonnés de cette ville contrastée et mystérieuse, « éminemment féminine ». Terre de peintres, d’écrivains et de musiciens, Nice serait une ville de culture bien moins superficielle qu’il n’y paraît… Une ville « métisse », selon Nietzsche, une ville « cosmopolite et accueillante », selon Alex Benvenuto : «  C’est une caractéristique des gens d’ici qui, s’ils ont su résister à ceux qui les agressaient, ont toujours ouvert les bras à ceux qui avaient la volonté d’adopter notre terre et notre culture. À celui qui vient d’ailleurs, on ne demande pas son lieu de naissance, mais son lieu d’avenir ».

 

La longue histoire de cette région, commencée il y a près de 400 000 ans, est intelligemment évoquée dans cet ouvrage de Patrice Montagu-Williams. Les traces d’un passé glorieux, marqué par de multiples occupations, destructrices et tragiques, mais aussi par un patrimoine et une culture faits d’apports multiples et variés, sont bien sûr toujours visibles dans le Vieux-Nice : « les empreintes des anciennes fortifications, des symboles des alchimistes et ceux des francs-maçons. Des traces des anciennes synagogues […] des façades d’inspiration vénitiennes, génoises et des escaliers toscans […] [des églises, des palais] de l’époque baroque ».

Les terrasses, entre le quai du Midi, futur quai des États-Unis, et le Cours Saleya, seront à leur tour éveillées à la Belle Époque (1890-1914). Nice étant alors fréquentée par une clientèle de luxe ayant succombé « au printemps perpétuel de l’hiver niçois », une vie élégante, littéraire et musicale s’y développe. Certains hivers, Nice devient la « capitale » de l’Empire britannique et de l’Empire russe.

 

 

Posters : Malou
Photo : Jean Gilletta,
exposition « Jean Gilletta et la Côte d’Azur – Paysages et reportages, 1870-1930 »

 

 

Selon André Giordan, un art de « vivre niçois » date de cette période et est le résultat « d’une dualité entre un patrimoine et des mœurs colportés dans les hôtels de luxe, un mélange heureux de Cours Saleya et de quartier des musiciens et pourquoi pas, de socca et de champagne ! C’est ainsi que Nice est populaire et étincelante, rurale et citadine, fruit de la mer et des Alpes toutes proches ».

Avec l’impact de la Première Guerre, il a fallu attendre les années 1920 pour voir réapparaître les distractions traditionnelles d’avant-guerre : « opéras, musiques symphoniques, théâtres, cinémas, boîtes de nuit, […] ainsi que le Carnaval qui renaît en 1921. On peut même écouter du jazz dans le Vieux-Nice avec des orchestres composés de Noirs américains ». La saison d’été vit enfin le jour.

 

Les références à Jean Médecin s’imposent dans ce livre écrit par son petit-neveu. Élu à la mairie de Nice en 1928, il fit construire le palais de la Méditerranée, qualifié, comme le souligne André Giordan, « de plus beau casino du monde lors de son inauguration, en 1929 ». Dans la foulée, « la municipalité élargit la promenade des Anglais qui prit alors l’aspect qu’elle a conservé jusqu’à aujourd’hui. Ce fut l’âge d’or des studios de la Victorine ».

 

 

 

 

Bien d’autres informations nous sont données, dans ce superbe livre, sur cette ville qui a tout pour être aimée… mais qui, de toute évidence, n’arrive pas à se défaire de ses « stéréotypes » : le « pays de la mafia » et celui des « vieux »… semble ne pas avoir su, jusqu’à ce jour, soigner sa communication.

Selon Patrick Mottard, présent dans l’ouvrage et à notre Bouillon culturel de l’Automne, « il manque à Nice une atmosphère de fête » :

« Nice reste pour moi la Belle endormie. Je dis toujours que c’est une Ferrari de formule 1 qui tourne dans un parking. Et il n’y a aucune possibilité de changement à court terme. […] J’ai le sentiment d’un immense gâchis ».

Avis partagé par nombreux convives, Français et Brésiliens vivant à Nice, pour qui notre ville est trop « aseptisée ». Si les besoins de sécurité sont acceptés par tous, le caractère de plus en plus commercial et peu authentique des grands événements tels que le Carnaval et le Festival de Jazz ne peut que décevoir. La volonté de rassembler les différentes couches de la population autour d’une manifestation marquante et fédératrice semble inexistante.

Voilà pourquoi les Associations culturelles et leurs partenaires de quartier sont essentiels.

 

Un grand MERCI à Patrice Montagu-Williams et à Patrick Mottard, à Gilda Abrami, qui nous a chaleureusement reçus, et, bien sûr, à tous les participants. Leur présence et leurs interventions ont rendu particulièrement vivante cette magnifique après-midi au Little Rest’O de l’atelier-galerie Tsadé !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

NOTES

 

Ce petit livre si dense et si élégant de Patrice Montagu-Williams, que nous recommandons vivement dans toute bibliothèque, recèle aussi de multiples trésors presque cachés.

Ne négligez donc pas les notes de bas de page, qui vous apprendrons encore mille choses.

À titre d’exemple :

Note de bas de page n°2 : Baie des Anges : « son nom provient de petits requins, inoffensifs et très comestibles, dont les ailerons ressemblaient à des ailes d’anges, selon les pêcheurs de l’époque.

Note de bas de page n°9 : Le fameux ARC 115,5° de l’artiste Bernar Venet, dans le jardin Albert 1er : « Immense arc noir qui représente la courbure de la baie des Anges »

Note de bas de page n°21 : « Nietzsche écrivait en marchant. Il se servait d’un écritoire composé d’une planche en bois et d’une lanière en cuir passée autour du cou. On peut retrouver dans le passage sur le Mont des Oliviers, dans Zarathoustra, le rythme de la marche dans certaines phrases. »

etc., etc.

 

 

 

 

 

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