‘2084’, de Boualem Sansal

 

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La guerre contre la dignité de la vie humaine et contre la culture en particulier, menée depuis quelque temps par l’islamisme radical, est une réalité qui va au-delà de toute frontière. C’est la raison pour laquelle nous publions aujourd’hui sur ce site un résumé de l’Entretien fait à l’écrivain Boualem Sansal, dans le cadre de la présentation de son septième roman 2084, à la Librairie Masséna, à Nice, le 29 septembre dernier. Ce livre est en lice pour le Grand Prix de l’Académie française. Les propos ci-dessous ont été recueillis par Gabrielle Laghouati, Membre de Brasil Azur, présente à cette rencontre. Nous la remercions vivement.

 

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«Je me suis mis à écrire comme on enfile une tenue de combat»,
Boualem Sansal

 

 

 

 Boualem Sansal, à la Librairie Masséna à Nice, le 29 septembre 2015

 

 

Boualem Sansal, écrivain algérien engagé, se sert à nouveau de sa plume incisive comme d’une arme contre l’islamisme, en imaginant une théocratie infernale. Il poursuit sa réflexion sur la Montée de l’Islamisme dans la foulée du fameux 1984 de George Orwell : la présentation de 2084 faite ci-dessous par Michel Abescat (Gallimard) résume ainsi cet ouvrage :

 

«  l’Abistan est un empire théocratique, dominé par la figure d’Abi, « délégué » sur Terre d’un dieu impitoyable, nommé Yölah. Partout des portraits d’Abi, que personne, en revanche, ne peut voir jamais, partout des surveillants et des contrôleurs, chaque semaine des exécutions publiques hautement mises en scène. Des habitants maintenus dans l’ignorance, leurs journées occupées à de multiples prières, leur liberté entravée par d’innombrables interdits. « Une bigoterie bien réglée, érigée en monopole et maintenue par la terreur omniprésente.» Rien n’a existé avant la « Grande Guerre sainte », qui a permis la victoire contre les « ennemis ». En Abistan, toute mémoire a été effacée. Et la langue, simplifiée, pour « éviter les pensées trop complexes ».

 

La fable est puissante, l’humour, ravageur, le propos, glaçant. 2084 est un livre hors du commun, une mise en garde adressée par l’auteur à ceux qui, selon lui, sous-estiment le danger islamiste. « Dormez tranquilles, bonnes gens », écrit Boualem Sansal dans un « avertissement » placé en tête du roman. Ceci est « une oeuvre de pure invention. […] Tout est parfaitement faux et le reste est sous contrôle ». 

 

Invité de la Librairie Masséna, Boualem Sansal explique :

 

Ce livre concerne les enfants de nos enfants,  « j’aurais pu écrire ce livre dès les années 1970. A l’époque l’Algérie avait choisi le modèle social calqué sur le modèle des pays de l’Est, un choix très matérialiste, sans religion… puis on a vu arriver les premiers barbus, ils prêchaient et cela nous amusait presque, nous, on était dans nos têtes encore des hippies, alors qu’eux, revêtaient à nos yeux l’air de guignols…. Donc la première phase fut celle d’une grande rigolade, nous les intellos on n’avait rien compris ! Pourtant il y avait déjà derrière eux toute une stratégie, une intelligence… en quelques mois, les établissements scolaires, puis les profs ont basculé là-dedans à pieds joints, ces épiphénomènes devenaient de moins en moins amusants… puis la société algérienne s’est très vite divisée !

 

Certains ont dit : bof c’est rien du tout, d’autres ont pensé ils ont peut-être raison, car le matérialisme à la Boumédiène ne nous a pas profité…. les clans et les courants ont surgi ! un peu comme ici en France, gauche droite… Puis le pouvoir a réglé ses comptes au sein de la société : En premier il y avait les purs et durs, les moscovites, ils clamaient « Il faut rester socialistes » ! Les seconds étaient pour une opposition néo-libérale, voire ultra-libérale pour blanchir leur argent sale. Puis il y eut les musulmans désireux de rejoindre la grande communauté musulmane et les derniers enfin, les plus radicaux, voulaient intégrer la grande famille du monde arabe ! Ils étaient en fait contre le courant démocrate qui pouvait nuire à leurs intérêts, ainsi s’installa le courant islamiste.

 

A ce moment-là on avait presque honte d’être démocrates, on considérait dans la population que nous étions des vendus à l’occident, on osait prêcher la laïcité, on était vu comme des suppôts de la France ! Alors c’est vrai, les démocrates ont émigré et ceux qui sont restés ont été flingués…

 

Librairie Masséna : « Dans votre ouvrage vous faites références au futur… »

 

« Oui nous sommes tous désarçonnés car aujourd’hui, les islamistes avancent à pas feutrés, ils ont tout réinventé, il y a 36000 chapelles mais le fondement reste : il faut vous soumettre à Allah ! C’est une nouvelle guerre sainte, on ne discute pas ! L’arsenal est déjà mis en place, en Angleterre, en France, ils possèdent des banques, des télévisions, des journaux, le commerce Hallal….. c’est un jeu politique fin et subtil, ils sont partout et on ne le sait pas encore ! Ils ont des universités en Egypte, des institutions, comme en Algérie … Ils ont préparé la guerre, ce sont des stratèges capables de faire diversion sur des domaines annexes : police armée et puis, ça et là, de petits attentats mais en fait il leur faut un territoire, le printemps arabe leur a servi de terreau, ils ont semé sur le terreau de la colère des pays colonisés fatigués par des régimes corrompus… ils ont subi la différence de régime Nord Sud…. A présent … il leur faut la puissance militaire … »

 

Librairie Masséna: « Vous  parlez de catastrophe nucléaire… d’hordes de pèlerins !!!! Les islamistes gouvernent-ils déjà la planète ? »

 

« Oui aujourd’hui ils sont déjà en passe de réussir, il y a toute une ingénierie pour prendre et conserver le pouvoir, la coercition, l’ignorance, l’acculturation, tout est sous contrôle, c’est déjà la tentative totalitaire. C’est comme une fourmilière  il y a la reine et les initiés et puis les millions d’ouvrières sans cervelle….

Dans la réalité, on y arrive, vous le savez, des jeunes très instruits regagnent leurs rangs et égorgent des gens comme des moutons… ces moutons c’est nous, nos enfants, nos frères, nos sœurs… cela se passe dans nos villes, nos quartiers, à Alger… aucun argument ne peut les atteindre ! En plus la guerre que nous leur livrons n’est pas une solution, car on donne du feu au feu !

Déjà à Alger en 1991 on avait bien voté une loi contre les signes ostentatoires mais on ne l’a jamais appliquée…. puis le pouvoir a raflé, emprisonné, torturé et exécuté….et les islamistes nous ont dit : vous voyez, vous vous comportez comme des mécréants… Le pouvoir donnait ainsi raison aux plus radicaux ! Le pouvoir a capitulé. Le deal était : Nous, on garde le pétrole, vous, allez-y, prenez la population !!!!

 

A mon sens il faudra réinventer un nouveau mode de pensée… Cela a été fait bien avant nous, aux siècles passés, il y a eu l’inquisition… puis on a progressé vers la notion d’individu, puis d’état, puis de république, puis on a échappé au dictat des religions – mais il y eut ensuite aussi des retours en arrière… le colonialisme, le nazisme, les totalitarismes….

Actuellement nous sommes dans une impasse !!! plus rien ne produit plus rien… c’est même la fin des droits de l’homme, de la notion d’hospitalité…

 

Interrogations de la salle :

Les intellectuels n’ont-ils pas démissionné en Algérie ?

Dans le retour au refoulé ne voyez-vous pas un problème d’ordre psychanalytique ?

Est-ce un Mélange entre transcendance et immanence ?

Comment percevez-vous l’Utilisation des femmes dans la guerre sainte ?

Islamisme ou récupération maffieuse qui n’a rien de religieux ?

L’islamiste est-il un croyant ?

 

B S : quelques réponses (désolée : je suis partie avant la clôture des débats)

« Non, les intellectuels algériens n’ont pas démissionné, mais dans un régime autoritaire qui a libéré l’économie en 24h sous la pression du FMI, tout a été sous l’influence du pouvoir : les logements ; le travail, car 90% des usines ont fermé ; la presse qui semble libre, mais qui est en fait toujours muselée. Même s’il y a eu la création d’une centaine de partis, tout a été  pourtant cadenacé par l’Etat. Donc ceux qui voulaient survivre ont dû fuir. Sinon l’Etat nous a tous parqués !

Pour les autres questions, oui vous avez raison et pour la première fois les femmes sont inscrites dans le dispositif guerrier et sont utilisées comme des esclaves sexuelles…

Rappelons-nous quand même de cette fameuse phrase de Malraux « le 21ème siècle sera religieux ou ne sera pas !!!! » »

 

 

 

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