Un cave peut-il flinguer Les Tontons flingueurs ? Albert Simonin, Georges Lautner, Michel Audiard, Clarence Weff et Cie (4) Qui est-ce, lui ? C’est mon ami — Et lui ? Mon ancien ami — Et lui ? Mon nouvel ami.

Quatrième (et pénultième) épisode. Après une guérilla à propos d’icones cultes du ciné français, peut-on proposer un éloge cinéphilique d’un film méconnu de Lautner, Des pissenlits par la racine ? Attention… la critique cinéphilique va flinguer ! Il n’y a pas de Simonin au scénario, pas d’acteurs à « grandes gueules autoritaires », mais de superbes comédiens au bord de la folie — les grandioses Louis de Funès, Michel Serrault, Francis Blanche et même Maurice Biraud — et (enfin !) une comédienne de choc arrive chez Lautner, Mireille Darc. Le cinquième (et dernier) épisode présentera le romancier-scénariste-dialoguiste, Clarence Weff, un aérolite.

 

Lautner pour la critique cinéphilique (1) Découverte et Lune de miel (début : un film maudit) …

 

Quand Les Tontons flingueurs sortent, la « critique cinéphilique » de l’époque n’est pas enthousiaste, certes, mais la note anonyme des cinéphiliques Cahiers du Cinéma (février 1964) n’est pas hostile, loin de là (on y lira même une vanne en prime !) :

Sympathique mise en boîte des films pantouflards enfilés en série par Gabin (Audiard s’est défoulé). Travail rodé, acteurs au poil, mais Lautner abuse du ton parodique mis au point depuis Le Monocle. Des éclairs de méchanceté bien venus indiquent, peut-être sa vraie voie.

Dans un précédent épisode de cette chronique, je m’en suis expliqué : oui, il y a de bonnes séquences. Tout le monde les connaît : ce sont celles où les dialogues d’Audiard sont portés par d’excellents acteurs que les amateurs admirent, surtout Bernard Blier et Francis Blanche (et on oublie que Lino Ventura n’aimait pas les rôles comiques …), mais je trouve l’ensemble du film inégal, avec des tunnels dus au scénario.

Lautner Vs Grangier. Cependant, Lautner a su donner un ton et un rythme suffisant à son film pour en faire une vraie comédie policière burlesque, comme on peut s’en rendre compte en comparant Les Tontons flingueurs (1963) à l’adaptation du deuxième épisode de la trilogie du « Grisbi » d’Albert Simonin, Le Cave se rebiffe (1954). Ce film est sorti en 1961 ; il est adapté par Simonin, Michel Audiard et le prolifique réalisateur Gilles Grangier (qui a beaucoup mis en scène Gabin). Il y avait déjà des dialogues d’Audiard, mais quand on les écoute, on a l’impression que ce n’est pas le ton gouailleur du truand de Pigalle que l’on entend, mais celui des acteurs de théâtre de boulevard quand ils profèrent des mots d’auteurs ! Il y avait aussi la présence de Jean Gabin (en « chef » bougon et … amateur d’art), de Martine Carole (en pin-up adultère), de Maurice Biraud (en cabotin), de Bernard Blier, Françoise Rosay et de Ginette Leclerc. Mais seuls ces trois derniers, avec leur classe impériale, donnent un peu de relief à un film platement réalisé. Son manque de style se traduit par une caricature forcée des personnages et des situations ; cette caricature prend la place du suspens et de l’humour. L’aspect policier est complètement dominant dans le roman qui est très noir — dans le film, il est non crédible. Est-ce un problème de scénario qui transforme de fond en comble le roman ? Le personnage principal du roman, Max-le-Menteur embarqué dans une histoire principale de règlement de compte, a même complètement disparu ! Ou bien est-ce un problème de mise en scène ? Les deux : la cohabitation de la comédie de boulevard (femmes adultères, maris cocus ou volages, etc.) et du suspens policier (une histoire de truands recyclés dans la fausse monnaie — c’était le thème secondaire du roman) ne donne pas lieu à une comédie policière, car ne naît aucune tension, aucun comique, aucun burlesque proprement cinématographique.

Les spectateurs des années soixante qui boudaient les films vigoureux, poétiques et élégants de la « Nouvelle Vague » devaient se contenter de bien ennuyeux films de divertissement mal fichus. Enfin, du point de vue idéologique, le film de Grangier est un hymne à la gloire des faux-monnayeurs professionnels contre les amateurs — et à la haine contre les employés salariés exprimées par ces truands qui pratiquent des professions indépendantes (par exemple : patrons de maison close !) … On comprend l’hostilité de la critique cinéphilique (toute acquise aux cinéastes artistes) à l’égard de ce genre (fabriqué par des professionnels…). Les réussites de Lautner entre 1961 (Le Monocle noir) et 1964 (Les Barbouzes) sont exceptionnelles.

La rencontre (vraie mais brève) entre la critique cinéphilique et Lautner a lieu avec Des pissenlits par la racine. Bien sûr, la « critique parisienne » (Jean Louis Bory, du Masque et la Plume) et les tenants les plus fervents de la cinéphilie-auteurs — que ce soit « à gauche » (Robert Benayoun de Positif, surréaliste) ou « à droite » (Jean Douchet des Cahiers du cinéma, théoricien pur et dur dans la tradition « hitchcocko-hawksienne ») — massacrent le film. Mais des rédacteurs très autorisés des Cahiers, comme Michel Delahaye (excellent critique, pas assez reconnu), Jacques Rivette (je ne présente pas ce cinéaste, discret et talentueux) et Jean-Claude Biette (cinéaste, co-fondateur de la revue Trafic) soutiennent le film. Ce dernier écrit un article très élogieux qui montre que le film peut proposer une double lecture :

Paradoxalement, Des pissenlits par la racine marque le triomphe de l’intellectualisme sur le cinéma commercial : […] incessants jeux de mots et trouvailles verbales, un savoureux langage argotique et quotidien : tout y frôle la gratuité. [le critique montre les jeux du film avec la logique et la vraisemblance, comme chez Queneau]. Jouant le jeu du cinéma commercial, Lautner bascule chez les véritables cinéastes, du côté des Bonnes femmes [de Chabrol, succès critique et échec commercial], et rencontre, en fin de source, la même incompréhension.

J’ai souligné les mots essentiels : « véritables cinéastes » et « même incompréhension ». Biette avait anticipé : en cette période post-moderne si indulgente pour les nanars-cultes, je note que les hagiographes du tandem Lautner-Audiard semblent tous ignorer que ces Pissenlits existent, et que le cinéaste y inaugure ses collaborations aussi bien avec Louis de Funès qu’avec Mireille Darc. La mythologie, qui porte aux nues Les Tontons et Les Barbouzes, est au service de l’oubli : le chef-d’œuvre de Lautner est un film maudit.

 

Amis cinéphiles, qu’est-ce qu’un film d’auteur(s) ? La chasse au « MacGuffin »

 

Lautner a réalisé un film très fort dans un domaine où il y a peu de réussites en France, l’humour noir. Il y a un excellent « MacGuffin » dans le film. Ce concept a été théorisé par Hitchcock en 1939. C’est ce « machin » qui manque — et après quoi tout le monde court : un trésor (film policier), une arme suprême (thriller), un microfilm ou une clef USB (espionnage), une femme (comédie sentimentale écrite par un homme), l’amour du père/de la mère/des enfants (mélodrame). Un chef-d’œuvre d’Hitchcock comme La Mort aux trousses (« North by Northwest », 1959) fusionne tous les genres (espionnage, comédie, mélodrame psychanalytique), car au-delà d’un espion imaginaire et d’un microfilm, c’est après « la femme » — Eva Marie Saint, la plus parfaite des blondes glacées du maître du thriller — que court « le fils », joué par cet acteur génialement ambigu qu’était Gary Grant. Un clin d’œil aux psychanalystes : le concept du « MacGuffin » a été repris par Jacques Lacan sous le nom d’ « objet (petit) a » ! Si j’insiste sur le film d’Hitchcock de 1959, c’est que son pitch est (structuralement) proche de celui de Des pissenlits par la racine, où le « MacGuffin » est un couple formé par un cadavre dont il faut se débarrasser, et un ticket de tiercé qu’il faut retrouver — mais l’un est dans la poche de l’autre… Et au bout du compte, l’objet qu’il faut conquérir, c’est la femme, Mireille Darc.

Scénario. Je vais raconter le principe du scénario en donnant les noms dans l’orthographe du roman — ce n’est pas simple car des personnages et des noms ont été changés ou échangés entre le roman et le film, aussi je vais un peu simplifier. On voit d’abord le futur cadavre, Pomm’Chips (Gianny Musi), bien vivant au début du film, et très décidé à trucider « Jockey-Jack » (Louis de Funès), le « demi-portion » qui lui a piqué sa femme, « Rookie-la-Braise » (Mireille Darc), pendant son séjour en prison. Mais ça tourne mal pour le petit truand : c’est lui qui est tué par le demi-portion … Puis le cadavre de Pomm’Chips (c’est-à-dire le ticket devenu gagnant — bref, le « MacGuffin ») est poursuivi par « Jo Aranjo » (Maurice Biraud), son ex-pote de prison qui lui avait demandé de jouer aux courses à sa place. Enfin Pomm’Chips (c’est-à-dire son cadavre) est transformé en un très propre squelette — bouilli, nettoyé et les os passés avec amour au papier de verre par un savant fou (Francis Blanche), flûtiste amateur et fournisseur d’accessoires pour les amphithéâtres de médecine. Participe aussi à la course un cave parfait, le musicien « Gédéon », devenu « Jérôme » dans le film (Michel Serrault), un joueur de contrebasse. Bien involontairement Jérôme a hérité du « MacGuffin » (le couple cadavre + ticket) caché dans l’étui de son instrument. Comme la grande Mireille Darc est arrivée, tous ces mecs n’ont qu’à bien se tenir !

 

Une lecture cinéphilique d’un film de divertissement

 

Des Pissenlits par la racine est un vrai film d’auteur, et on comprend que des critiques cinéphiliques l’ait repéré et signalé aux amateurs — dont celui qui rédige cette enquête. Évidemment, la question est : qui est l’auteur ? Car Lautner ne travaille pas avec Simonin, mais avec un aérolite du polar français, Clarence Weff, qui entre 1958 (Avec Mince de pince) et 1965 publie en Série Noire une demi-douzaine de polars burlesques. Ces romans sont construits comme des pièces de Feydeau — mais on a compris que ce ne sont pas des amants qui sont cachés dans les placards (quoique … parfois, il y a aussi des amants !), mais des cadavres encombrants ! Les « oncles à héritage », ce sont les voleurs de bijoux (Mince de pince, 1958) ou les trafiquants de drogue (L’Abominable homme des douanes, 1958) ou les possesseurs de tickets de PMU (Y avait un macchabée, 1962) : il faut retrouver tous ces trésors, les « MacGuffin ».

En 1964, Des pissenlits par la racine adapte donc le roman de 1962, Y avait un macchabée : les adaptateurs sont Clarence Weff lui-même, Lautner et Albert Kantof (qui débute ; plus tard il sera scénariste ou dialoguiste de séries télévisées). Les dialogues sont de Weff — « en collaboration avec Michel Audiard » précise le générique. L’image est de Maurice Fellous, le collaborateur habituel de Lautner. La musique est de Georges Delerue, un des compositeurs majeurs pour le cinéma français de la seconde moitié du XXe siècle. Or, le film a tout du vrai film d’auteur maîtrisé. Le rythme est constamment maintenu — sans les passages à vide qui affaiblissent Les Tontons ou Les Barbouzes dont on ne se souvient que des mots d’auteur et des morceaux de bravoure. L’image est un vrai noir et blanc contrasté bien en adéquation avec le ton sarcastique du film. Même le cabotinage de Maurice Biraud est adapté à son rôle de petit gangster baratineur. Lautner a su fusionner tous ces apports — c’est bien le rôle d’un vrai cinéaste.

Le film a un côté grotesque qui nous rappelle les meilleurs films de Jean-Pierre Moky : il faut voir Francis Blanche en savant fou manipuler la tête du complice de Jo, car il a une tête de « dolichocéphale parfait » — il l’ajouterait bien à sa collection de squelettes ! Ce film illustre parfaitement la note prémonitoire que j’ai déjà citée : « Des éclairs de méchanceté bien venus indiquent, peut-être sa vraie voie ».  Ajoutons une soirée dansante chez des bourgeois coincés, très réussie dans un genre … qui anticipe sur ce que fera Bunuel en 1972 (Le Charme discret de la Bourgeoisie), aussi je m’interroge sur la note déshonorante (un « point noir ») attribuée par Benayoun dans le « Conseil des dix » des Cahiers du Cinéma de juin 1964 ! — le Surréaliste serait-il horrifié par la réussite d’un « cinéaste commercial » sur son territoire ? Ce film est très bon, toujours intéressant, sans longueurs, toujours surprenant ; c’est lui qui devrait être cité comme « le » chef-d’œuvre de Lautner, et non Les Tontons flingueurs — mais le cinéaste-critique Jean-Claude Biette l’a annoncé : cet humour noir, si maîtrisé, n’a pas rencontré le grand public : trop « intellectuel » ? trop « abstrait » ? J’ajoute : pas assez « réac » ? dans ce film il n’est jamais question de mise en valeur de caïds à grande gueule ! Pas de Gabin, pas de Ventura, mais Louis de Funès ou Michel Serrault ou Francis Blanche, les vrais grands dans un de leurs meilleurs films.

 

Qui est la véritable « ravissante idiote » ? Brigitte Bardot ? Marilyn Monroe ? ou Mireille Darc ?

 

Et enfin, il y a un vrai rôle féminin ! C’est le premier film de Lautner où apparaît Mireille Darc. Elle y compose un rôle qu’on qualifie naturellement de « ravissante idiote ». Les jeunes cinéphiles d’aujourd’hui associent naturellement ce type de rôle à Marilyn Monroe qui l’a porté à sa perfection dans des chefs-d’œuvre de la comédie américaine : Les Hommes préfèrent les Blondes de Howard Hawks (1953) ou Certains l’aiment chaud de Billy Wilder (1959). Historiquement, l’expression « ravissante idiote » a été popularisée en France par un film d’Édouard Molinaro sorti en 1964, avec Brigitte Bardot et Antony Perkins. Mais ce film adapte un roman d’espionnage comique (paru en 1962) de Charles Exbrayat, écrivain alors très populaire pour ses « romans policiers humoristiques », publié par Le Masque —la collection où paraissaient les romans de l’auteure la plus vendue du XXe siècle (Agatha Christie). Aujourd’hui, Exbrayat est peut-être encore connu pour la série télévisée (13 épisodes, vers 1990) créée autour de son personnage d’« Imogène » — l’héroïne y est interprétée par Dominique Lavanant.

Cette rubrique a pour titre « après relecture » : je ne commente ou ne porte un jugement que sur des livres ou des films, que j’ai (re)vus ou (re)lus pendant l’enquête (certains me sont tombés des mains … ou des yeux). Pour cette chronique en forme de feuilleton, la tâche était effrayante, tant l’industrie du divertissement (films et romans) des années 50 et 60 était prolifique dans le domaine du policier humoristique de divertissement — bien loin de ce que nous appelons aujourd’hui roman noir ou film noir. Mes lecteurs, qui pensent que je m’égare beaucoup dans mes digressions, doivent savoir que les quelques noms d’auteurs ou de cinéastes, ou les quelques titres de romans ou de films, que je cite ici ou là, ne donnent qu’une très faible idée de la production pléthorique de l’époque. Juste deux exemples : la page Wikipédia sur Charles Exbrayat doit citer plus de 100 romans, et je suis persuadé que la plupart d’entre eux se sont bien vendus … et s’il reste des sceptiques, je les encourage à parcourir la page de Fred Kassak et d’y chercher le nom de Michel Audiard … Ce que je peux dire, c’est que mes (re)lectures et (re)visions m’ont laissé perplexe : un roman comme celui d’Exbrayat semble écrit par un auteur consciencieux qui a eu une idée — la très belle héroïne est idiote — et qui fabrique soigneusement (avec diagrammes et fiches ?) un roman pour enfants (à qui il faut tout expliquer) en le poivrant ici ou là de plaisanteries que les lecteurs de l’époque se répétaient avec gourmandise…

Lautner Vs Molinaro. Avec Une ravissante idiote, Édouard Molinaro a réalisé un film où le suspens et le comique sont tout aussi soigneusement fabriqués, à l’image des situations du théâtre de boulevard. Le générique original du film prête l’adaptation du roman au cinéaste et aux deux dialoguistes, les frères Georges et André Tabet. Étonnamment, les fiches modernes prêtent le scénario et l’adaptation à l’excellent auteur de « théâtre de l’absurde » François Billetdoux, les dialogues étant toujours des frères Tabet… La poésie propre à Billetdoux est difficile à percevoir. Ce qu’on voit, c’est la mise en scène de Molinaro. Or ce cinéaste est un quasi-contemporain de Lautner, il a opéré sur le même terrain artistico-commercial que ce dernier — avec Simonin, Audiard, Blier, Lefebvre, de Funes, etc. —, et il est mort quelques jours après lui, le 7 décembre 2013. Je résume : on sourit quelquefois, car Molinaro a plus le sens du rythme qu’un Grangier, par exemple, mais on n’y croit guère, ni pour trembler, ni pour rire. Malgré les courses-poursuites et les tartes à la crème, il y a des situations-gags qu’on perçoit comme vraiment faibles ! Je propose une comparaison : Lautner a eu la réelle capacité de donner un authentique ton burlesque à ses meilleurs films policiers et d’espionnage parodiques, capacité que Molinaro n’avait qu’à un degré bien moindre, son (non-)style restant celui de la comédie de boulevard. Dirigés par Molinaro, le très bel Anthony Perkins et la très belle Brigitte Bardot composent leurs rôles (un espion benêt et amoureux + une jolie fille qui joue à être niaise) avec bonne volonté, mais sans finesse.

De Marilyn à Mireille. La finesse, c’est ce que Marilyn avait su insuffler dans ses créations, et c’est ce que Mireille Darc retrouve naturellement. Elles sont apparemment de très belles idiotes, tout en suggérant un je-ne-sais-quoi de suprêmement intelligent. Ce ne sont pas de très belles femmes qui jouent à être idiotes, ce sont des comédiennes qui réussissent formidablement la synthèse de la naïveté et de la subtilité. Je prends un exemple pédagogique chez Hawks, ce génie de la comédie qui a toujours su mettre des femmes fortes face à des mâles infantiles … Il y a à la fin des Hommes préfèrent les blondes une superbe discussion menée par « Lorelei » (la « chercheuse d’or » interprétée par Marilyn) qui fait face au père milliardaire de l’amoureux transi (un gentil benêt). Le père (autoritaire) admet que Lorelei est très belle, mais il est convaincu qu’elle ne peut aimer son fils que parce que celui-ci est riche. Or, c’est droit dans les yeux du père que Lorelei nie vigoureusement, et lui assène : c’est à cause de son argent — son argent à lui, le père — qu’elle est amoureuse du fils ! Le père est estomaqué par cette franchise… et le fils est désespéré … Mais Lorelei sait qu’elle doit séduire le père, aussi elle s’explique froidement avec celui-ci : la beauté, pour une femme, c’est la même chose que la richesse pour un homme. Elle développe ainsi  un « discours rationnel » — comme disent les économistes — sur cette équivalence : « Si vous aviez une fille, vous la voudriez mariée à un pauvre ? ». Ce vieil homme d’affaires, endurci mais pragmatique, est inévitablement sensible à cette logique implacable : « On dit que vous êtes idiote ! Mais c’est très censé, tout ça ! » — ce que Lorelei commente par : « Je suis intelligente, quand il le faut. Mais ça déplait aux hommes. » C’est justement ce qui arrive aux hagiographes des films de Lautner avec Mireille Darc : l’intelligence de celle-ci ne les intéresse pas, et ils ne veulent voir dans l’actrice qu’une très belle femme prêtant son corps « avec liberté »… aux hommes — le machisme se retrouve tout autant chez les auteurs que chez ces spectateurs !

C’est tout au long des Pissenlits par la racine que Mireille Darc construit son personnage de « Rookie-la-braise » en exhibant sa naïveté et en distillant son intelligence. C’est suggéré dans la dramaturgie du récit par son passage d’un homme à l’autre. Il y a ainsi ce burlesque dialogue (qui vient du roman de Weff ; j’abrège les questions),

— qui est-ce lui ? [Jockey-Jack] — C’est mon ami

— et lui ? [Pomm’Chips, le cadavre dans la contrebasse] — Mon ancien ami

— et lui ? [Jo Aranjo] — Mon nouvel ami,

qui marque la progression sociale de Rookie. Cette ancienne prostituée (?) est devenue la « môme » d’un petit gangster, ensuite d’un moyen gangster, puis de ce qui semble être un plus prospère gangster. Enfin, elle impose son propre désir : être la femme d’un artiste qui l’amuse. Ce rôle de femme apparemment « idiote-soumise » qui manipule au bout du compte tous ces mecs, c’est celui qu’elle retrouvera dans Les Barbouzes, le film écrit l’année suivante par le trio Simonin-Audiard-Lautner, qui s’inspire du personnage créé par le trio Weff-Lautner-Mireille Darc ! Je fais partie des cinéphile qui regrettent que des personnalités aussi considérables que Brigitte Bardot ou Mireille Darc aient rencontré trop rarement des cinéastes à leur mesure. Ces actrices au service du cinéma commercial ont cependant toutes deux tourné avec le cinéaste-cinéphile par excellence, Jean-Luc Godard (Le Mépris et Week-end).

 

(à suivre)

 

54 réflexions au sujet de « Un cave peut-il flinguer Les Tontons flingueurs ? Albert Simonin, Georges Lautner, Michel Audiard, Clarence Weff et Cie (4) Qui est-ce, lui ? C’est mon ami — Et lui ? Mon ancien ami — Et lui ? Mon nouvel ami. »

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