L’âge d’or des Mines

 

« La découverte des mines enrichit le Portugal mais contient le ferment qui le conduira à la perte de sa colonie »
Germain Bazin

 

 

La découverte d’or dans les rivières du Sertão des Cataguazes, à l’intérieur de la région qui serait nommée Minas Gerais (gerais voulant dire générales en portugais, Minas Gerais désigne une région où l’on trouve partout des mines) entraîne un boom démographique au Brésil. De multiples immigrants se ruent vers ce nouvel Eldorado et les esclaves, de plus en plus nombreux, sont achetés à « prix d’or ». C’est ce que précise André Boyer dans son article Un Brésil en Or, qui ouvre notre série de textes autour de ce cycle économique, situé entre 1690 et 1808.

 

Les conditions de vie dans les Sertões sont éprouvantes. Le mot Sertão est d’ailleurs formé par aphérèse (perte du premier phonème) à partir de desertão, augmentatif de deserto (désert). La famine se fait sentir les premières années. Avec les orpailleurs (garimpeiros), arrivent donc progressivement des travailleurs agricoles et des éleveurs de bétail, venus pour la plupart du Nordeste.

 

Il est difficile d’établir des lois dans ce far west brésilien de l’époque. Très vite des conflits éclatent entre les différentes catégories de migrants. Les orpailleurs paulistes, ayant découvert cette région minière, acceptent mal l’arrivée des éleveurs bahianais et des immigrants portugais (surnommés reinóis). Ces derniers disposent cependant de moyens techniques moins artisanaux que ceux des Paulistes. Cela leur permet en particulier de creuser des mines et de ne pas se contenter de passer au tamis le sable des rivières.

 

Lorsque, en 1707, l’un des orpailleurs bahianais s’autoproclame « gouverneur de Minas » et veut expulser les Paulistes, la surnommée « guerre des emboabas » éclate. Après ce conflit, les Sertões miniers sont placés sous contrôle étroit. Aussi bien cette région que São Paulo cessent alors de dépendre du gouverneur de Rio de Janeiro. La capitainerie de São Paulo e Minas est créée en 1709 et est ensuite démembrée en 1720, lorsque le Minas Gerais devient une capitainerie à part entière. En 1711, des circonscriptions juridiques (comarcas) et trois villes y sont fondées, dont celle de Villa Rica, l’actuel Ouro Preto.

 

 

Ouro Preto
Alberto da Veiga Guignard

 

 

Ouro Preto © photos de Filomena Iooss, 2013

 

 

C’est cette ville qui retiendra maintenant mon attention, car, à l’intérieur des enseignements tirés des livres d’Histoire, je souhaiterais intégrer des témoignages, sans doute partiels, peut-être partiaux, de certains habitants, parmi lesquels des descendants d’esclaves miniers. Rappelons qu’en 1786, ces derniers représentaient 48% de la population du Minas Gerais, estimée à presque 400 000 habitants. C’est ici également, qu’aux alentours de 1800, s’est concentré le plus important nombre d’esclaves affranchis (forros) du Brésil…dont les plus riches possédaient à leur tour des esclaves…

 

Voilà donc l’âge d’or qui m’a été raconté pendant ma visite des mines d’Ouro Preto

 

Creusées avec des pioches, des burins et des marteaux, ces mines étaient par endroits trop étroites pour pouvoir accepter des esclaves mesurant plus d’1m60.

Des couloirs latéraux au couloir central étaient également creusés pour augmenter la quantité d’or extraite. Certains avaient une cinquantaine de mètres de hauteur, plus que la taille d’un immeuble. D’autres couloirs, qui contournaient parfois des éboulements meurtriers, étaient trop étroits pour accepter des esclaves autres que des enfants à partir de 6 ou 7 ans, qui avançaient souvent à plat ventre.

J’ai pu constater ces dimensions sans difficulté…

 

 

 

 

 

Mine d’or d’Ouro Preto © clichés de Filomena Iooss, 2013

 

 

Pour se déplacer à l’intérieur de ces mines, les esclaves portaient des torches ou des lampes à huile de baleine : d’où les trous dans les murs sur ma photo, un peu floue, certes, mais intéressante en termes de perception historique.

 

 

La combustion de cette huile consommait beaucoup d’oxygène et libérait trop de dioxyde de carbone, ce qui mettait en danger la vie des travailleurs. Afin de se protéger, ceux-ci amenaient, semble-t-il, un oiseau avec eux. Si celui-ci mourait, les esclaves en mesure de le faire quittaient les mines en courant, pour éviter l’asphyxie.

 

Quant aux esclaves trop grands pour travailler dans les mines, ils étaient utilisés dans le travail agricole ou pour transporter les Sinhazinhas, les femmes riches de la région [pas toujours blanches, d’ailleurs, comme c’est le cas de la célèbre esclave affranchie Francisca da Silva Oliveira, dite Chica da Silva]. Dans ce dernier cas, les esclaves devaient être castrés. Il semblerait que cette opération se faisait à l’aide de la cachaça qui les anesthésiait en partie pendant que leurs testicules étaient écrasés par une sorte de pince. Une semaine après cette intervention, ils étaient censés se présenter à leurs « maîtresses » et débuter leur travail.

 

Un tiers de l’or produit dans le monde était extrait à l’époque à Minas Gerais, précisaient mes interlocuteurs. Dans les pages du journal qu’ils m’ont laissé feuilleter, deux débouchés à cet or étaient mis en évidence : l’apparat de la Cour portugaise et le règlement des dettes du Portugal envers l’Angleterre, qui a ainsi financé, à hauteur de 60%, sa Révolution industrielle.

 

© cliché de Filomena Iooss, 2013

 

 

Je reviens rapidement sur ces derniers points, qui ont effectivement marqué l’Histoire de cette période-là.

 

Dom João V, roi du Portugal entre 1706 et 1750, était considéré comme le monarque le plus riche d’Europe. L’or du Brésil a augmenté son pouvoir royal et lui a permis d’importer des produits de luxe, sans qu’il estime nécessaire de développer l’investissement manufacturier dans son pays.

 

Il faut dire que, traditionnellement allié de l’Angleterre, le Portugal avait signé, en 1703, avec la Couronne anglaise, le traité Methuen (du nom de deux négociateurs britanniques).

Par ce traité, les taxes d’importation avaient été baissées, sur le marché anglais, pour les vins portugais (notamment le vin de Porto) et, sur le marché portugais, pour les produits des manufactures anglaises (exportées ensuite au Brésil en particulier). Ces dernières étaient en effet payées avec l’or du Brésil.

Lorsque le déclin de celui-ci se fait sentir dans les années 1760, l’éclairé Marquis de Pombal, premier ministre du roi Dom José du Portugal, met en place des mesures visant à rééquilibrer les échanges entre les deux royaumes, de façon à diminuer le déficit commercial du sien. Au Brésil, le Marquis favorise en particulier le développement agricole, dont la culture de l’indigo, du lin ou du coton, ce dernier finissant par représenter, dans les années 1790, un tiers du coton filé dans les manufactures anglaises. Comme c’est souvent le cas, les réformes courageuses de ce ministre n’ont commencé à porter leurs fruits qu’après qu’il ait été évincé en 1777.

 

Avec l’essor des activités agricoles, la ville la plus importante de Minas Gerais ne sera plus Ouro Preto mais São João del Rey.

Mais nous n’y sommes pas encore…

 

Pour le moment, profitons un peu plus de cette ancienne Villa Rica, qui nous transporte vers un temps suspendu…

 

 

 

 Praça Tiradentes
Ouro Preto

 

 

Sur cette photo de la magnifique place centrale, au fond derrière moi, nous pouvons voir l’ancien Palais des Gouverneurs, construit en 1741 par Manuel Francisco Lisboa, surnommé « Aleijadinho » (« Petit estropié »). Les graves infirmités physiques de ce grand artiste, qui justifient son surnom, ne l’ont pas empêché de réaliser des œuvres d’architecture et de sculpture grandioses, qui ont marqué cette période.

Depuis 1876, siège dans ce palais l’École des mines et de la métallurgie, fondée par le Français Claude-Henri Gorceix. Elle abrite la plus la plus grande collection brésilienne de pierres et minerais du monde entier.

 

La douceur de ces lieux chargés d’Histoire, classés au Patrimoine mondial de l’Humanité par l’UNESCO, fait difficilement écho aux horreurs des premières révolutions qui, au cœur des mines d’or et à cause d’elles, font germer, chez les Brésiliens, l’envie d’indépendance.

 

Les rues d’Ouro Preto sont cependant remplies de mémoire… et le nom de Tiradentes nous fait regarder, presque craintifs, le pilori de la place qui porte son nom…

 

Mais qui est donc ce fameux Tiradentes ?

 

Nous le verrons dans notre prochain épisode sur le cycle de l’or…

 

 

 

Une réflexion au sujet de « L’âge d’or des Mines »

  1. Ping : La malédiction de l’or : Lumières et conspirations | Brasil Azur