Immigration japonaise au Brésil

I – Arrivée des premiers immigrés et leur rôle dans le cycle du café
 

 

La première communauté japonaise du Brésil a émigré du Japon afin de pallier le manque de main d’œuvre dans la culture caféière brésilienne. Ces premiers immigrés japonais (les Isseis) ont profondément marqué l’histoire du Brésil, notamment celle de la ville et de l’État de São Paulo. En effet, en plus d’un apport en main-d’œuvre qui a contribué à ce que le Brésil devienne le plus grand producteur mondial de café, cette communauté, à travers sa culture (son art et sa cuisine en particulier), a permis d’introduire un nouvel élément ethnique dans la société brésilienne, déjà multiculturelle (cultures indigène, européenne, africaine). Si, entre 1893 et 1903, les immigrants italiens, portugais et espagnols étaient les plus nombreux, l’immigration japonaise est rapidement devenue le deuxième groupe d’immigration au Brésil à partir de 1924, derrière l’immigration portugaise. La culture nippone s’est développée au Brésil grâce aux descendants de cette première génération (les Nisseis, les Sanseis et les Yonseis). Ils constituent la communauté japonaise la plus importante en dehors du Japon.

 

 

A – Contexte historique et préparatifs à l’installation des Japonais

 

 

Affiche japonaise incitant à l’émigration

 

 

De nombreuses raisons peuvent expliquer l’important flux d’immigration japonaise sur le territoire brésilien dans la première moitié du XXe siècle.

 

La première, et sans doute la plus importante, est l’abolition de l’esclavage au Brésil en 1888, qui provoque un manque criant de main-d’œuvre dans les exploitations de café et marque la fin du premier cycle du café.

 

La deuxième raison trouve son origine au Japon.

À la même époque, ce pays était en effet à la recherche de terres d’émigration pour sa surpopulation, qui souffrait de famine et des conséquentes tensions sociales dans certaines régions du pays. Les terres agricoles cultivables devenaient de plus en plus rares à l’intérieur du Japon.

Deux éléments venaient aggraver cette situation : d’un côté, la politique de modernisation de l’agriculture nationale dans le contexte de l’ère Meiji (période d’ouverture du Japon à l’Occident) fait perdre leur emploi à des milliers de Japonais ; de l’autre, les énormes dépenses affectées aux guerres contre la Chine et la Russie ruinent le pays, incapable donc d’aider ses paysans.

 

La troisième et dernière raison est sans doute l’interruption, en 1902, de la nombreuse émigration italienne par le gouvernement italien, ce qui a accentué le besoin croissant de main-d’œuvre au Brésil.

 

C’est dans ce contexte de besoins concordants qu’a été votée, en 1892, la « loi N°97 » autorisant l’immigration de citoyens japonais et chinois sur le territoire brésilien. Faute de budget prévisionnel pour financer ce flux migratoire, la loi n’a pas été appliquée pendant un certain nombre d’années. En 1895, le gouvernement brésilien et le gouvernement japonais signent le premier traité de commerce et d’amitié entre les deux  pays [1]. Une multiplication de sociétés s’intéresse alors à cette immigration, source de main-d’œuvre pour les entreprises du secteur industriel et agricole. La plus connue est la « Mutualité agricole ». La société brésilienne « Prado Jordão » signe en 1896 un contrat avec la société japonaise « Kichisa Imin Kaisha » contenant les premières dispositions et conditions légales concernant les migrants. Cette société japonaise s’engageait à fournir à la société brésilienne de la main-d’œuvre japonaise sur une période allant de 25 ans à 40 ans. Les migrants pouvaient quant à eux rester sur le territoire brésilien pendant cinq ans, avec un salaire mensuel de 30 schillings pour dix heures de travail par jour. La société brésilienne « Prado Jordão » s’engageait également à assumer toutes les dépenses de transport et de subsistance durant le voyage. Ce type de contrat a été extrêmement critiqué à l’époque et ce pour deux raisons : d’abord, parce qu’il prévoyait une immigration japonaise temporaire, et ne présentait donc pas de vision à long terme ; ensuite parce que ces sociétés, la plupart du temps, n’avaient pas les moyens de prendre en charge autant de migrants.

 

 

Ryu Mizuno (au centre de l’image)

 

 

Comme le prévoyait le traité d’amitié signé en 1895, la première représentation diplomatique japonaise au Brésil fut reçue en 1897 à Petrópolis.

Au-delà de l’aspect diplomatique, de nombreux entrepreneurs japonais – incités par le rapport Sugimura (du nom du ministre japonais qui l’a rédigé), qui mettait en lumière la “réceptivité sympathique des brésiliens” – ont commencé à s’intéresser à cette terre d’émigration et à envisager des voyages d’exploration personnelle au Brésil.

 

C’est ainsi qu’en 1906, Ryu Mizuno, président de la Compagnie impériale d’émigration (en japonais “Koukoku Shokumin Gaisha”), décide d’entreprendre un voyage au Brésil, en passant par le Pérou, le Chili et l’Argentine, afin de faire tomber les dernières barrières bureaucratiques à l’immigration de Japonais. Il parvient à atteindre son objectif : un contrat est alors signé avec l’État de São Paulo, prévoyant l’arrivée de 3000 Japonais sur une période de trois ans. Ce contrat, ressemblant à celui qui avait été signé entre la « Prado Jordão » et la « Kichisa Imin Kaisha », prévoyait également des conditions d’immigration : les migrants avaient l’obligation de venir en famille (de 3 à 10 personnes), avaient bien évidemment droit à certaines rémunérations, mais devaient surtout être aptes à travailler dans l’industrie caféière. Cette dernière condition illustre parfaitement la dimension économique et non sociale d’une telle immigration : les personnes inaptes au travail ne pouvaient pas émigrer.

 

 

Le « Kasato Maru » en 1908

 

 

Le « Kasato-Maru », dirigé par Ryu Mizuno, est le premier bateau d’immigrés japonais qui accoste au Brésil. Parti de la ville de Kobe le 28 avril 1908, il accoste dans la ville de Santos (État de São Paulo) le 18 juin 1908, avec 781 passagers à bord. Ils proviennent essentiellement des provinces d’Okinawa (à l’extrême sud du Japon) et de Kagoshima (au sud du pays) et sont, pour la plupart, et en fonction de leur région d’origine, envoyés dans cinq « fazendas » (grandes propriétés agricoles brésiliennes) : Dumont, Guatapará, Sao Martinhos, Sobrado, Floresta et Chanaan.

 

 
B – L’échec des exploitations de café
 

Japonais récoltant le café

 

 

Le travail dans les fazendas de café débute dès l’arrivée des premiers immigrés japonais, mais des conflits éclatent peu de temps après : les Japonais commencent à se révolter contre leurs conditions de vie et de travail.

Ces protestations reflètent parfaitement les critiques formulées à l’encontre des contrats d’immigration.

 

Les « fazendas » n’avaient effectivement prévu aucune commodité d’accueil : absence de lits (seulement des tas de feuilles sur des sols en terre) et de sanitaires.

La Compagnie impériale n’était pas non plus dans la capacité de rembourser sa dette de 80.000 yens au gouvernement japonais : elle décide alors de confisquer les biens que les Japonais avaient déposés en gage pour payer leur voyage, provoquant ainsi leur colère.

Les immigrants nippons se voient donc confrontés aux mensonges des recruteurs, qui leur avaient promis des conditions de travail idéales ainsi qu’une prospérité personnelle rapide (ce qui avait conduit nombre d’immigrés à vendre leurs maisons au Japon afin de payer leur voyage). La barrière de la langue et les dures conditions de travail viennent accroître leur frustration. Nombreux s’enfuient des « fazendas ». C’est le cas des 210 Japonais de la fazenda Dumont, un mois après l’arrivée du « Kasato-Maru » [2] [3]. Beaucoup d’entre eux atteignent la ville de Santos, travaillant quelques années plus tard dans la construction du chemin de fer. Ils s’installent souvent au bout de cette ligne de train, dans la ville de Campo Grande. D’autres décident de travailler dans la culture maraîchère. Beaucoup se réfugient encore à São Paulo, où ils vont exercer des métiers peu qualifiés dans des secteurs comme la maçonnerie ou le service à domicile, qui ne nécessitent pas de réelle maîtrise de la langue portugaise, ou vont travailler dans le secteur industriel, très développé dans la ville. C’est à cette époque que commencent à y apparaître des restaurants, des clubs sportifs, des journaux en japonais, etc., qui constitueront peu à peu le noyau identitaire japonais de la ville de São Paulo.

 

Face à l’échec de la contribution de cette première vague d’immigration japonaise au développement de l’agriculture caféière, les gouvernements brésiliens et japonais modifient alors les contrats existants afin de mieux préparer l’arrivée des nouveaux migrants.

 

Le second bateau, le « Ryojun Maru », arrive au Brésil le 28 juin 1910, avec 909 Japonais à bord. Cette fois, les « fazendas » s’étaient préparées pour les accueillir. Le travail de ces immigrés consistait principalement à récolter les plants de café, à semer et à défricher les terres.

 

À partir de 1913, le café commence cependant à perdre de sa valeur, en raison notamment de la réduction des capitaux étrangers au Brésil et de la crise monétaire internationale. Avec le début de la Première Guerre mondiale en 1914, la demande mondiale de café s’effondre entièrement et l’immigration japonaise connaît un fort ralentissement : 119.757 immigrés en 1913, seulement 48.413 en 1914 [4]. Ce conflit mondial provoque ainsi un chômage de masse ainsi que la fermeture de nombreuses « fazendas ». Il signe la fin du premier cycle d’immigration japonaise au Brésil, qui, comme nous le verrons par la suite, connaîtra toutefois un second souffle après la fin de la Guerre.

 

 

C – Le second cycle du café

 

 

Umpei Hirano a crée une colonie au Brésil portant son nom

 

 

Avec la fin de la guerre, en 1918, l’immigration japonaise connaît un second souffle, essentiellement pour deux raisons : en plus des besoins en main d’œuvre pour la culture du café (produit à nouveau demandé avec la fin du conflit), le Brésil avait besoin de main d’œuvre pour déboiser sa forêt.

 

C’est en effet à cette époque, et surtout grâce aux travaux de Cândido Rondon, que le Brésil, et plus particulièrement l’État de São Paulo, prend conscience du potentiel économique de l’Amazonie. Des colonies sont alors créées pour faciliter le déboisement de la forêt vierge amazonienne. L’une de leurs missions était la construction du chemin de fer, qui permettrait le déplacement de main d’œuvre. La première, la colonie « Hirano », du nom de l’entrepreneur japonais Umpei Hirano, avait déjà vu le jour en 1915 [5]. On estime à près de 8000 familles le nombre des premiers migrants japonais quittant São Paulo vers l’Amazonie. En plus de participer au déboisement de la forêt, cette main d’œuvre était utilisée dans l’exploitation des ressources naturelles amazoniennes, comme la jute ou la noix du Pará. D’autres colonies, « Aliança », « Tietê », ou encore la compagnie « Amaco », ont également été créées au fil des ans.

 

 

 La récolte de la jute et de la noix du Pará en Amazonie

 

 

Il faut préciser que l’arrivée des Japonais au Brésil est également due au fait que la politique  migratoire des États-Unis après la fin de la Guerre (Immigration Act of 1924) interdisait l’immigration de citoyens nippons en territoire américain.

Nombre de Japonais s’étaient donc tournés vers le Brésil, jugé comme une terre plus accueillante. Tel n’était pas réellement le cas.

 

De nombreux mouvements anti-asiatiques existaient en effet au Brésil à cette époque, le meilleur exemple étant sans doute la proposition de loi de Fidelis Reis du 5 octobre 1923, qui prévoyait aussi bien l’interdiction d’entrée dans le territoire brésilien aux populations noires, qu’une limitation drastique de l’immigration dite « jaune ». Cette proposition de loi n’a finalement pas été votée mais reflète bien l’état d’esprit général et les idées politiques de ségrégation qui ont commencé à germer à cette époque.

 

Au-delà des États-Unis, d’autres pays avaient effectivement déjà adopté des mesures similaires contre les populations asiatiques, et plus généralement contre les populations non blanches. C’est le cas de l’Australie, qui, à partir de 1901, adopte la politique de l’Australie blanche (“White Australia policy”), ou encore de l’Afrique du Sud, où une série de lois de ségrégation raciale a précédé l’adoption officielle de l’Apartheid en 1948. Le Brésil (et plus généralement l’Amérique du sud), malgré les mouvements anti-asiatiques cités, représentait en quelque sorte une exception. Ce pays est donc devenu la première terre d’émigration des Japonais dans les années 1920, et cela en dépit de la décision du gouvernement d’arrêter de subventionner cette population d’immigrés à partir de 1927.

 

La grande dépression économique de 1929 et l’arrivée au pouvoir du président Getúlio Vargas vont cependant profondément modifier cette politique de tolérance socio-culturelle. C’est ce que nous aborderons dans une deuxième partie.

 

 

À suivre :   Instauration de la dictature et Seconde guerre mondiale

 
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Sources bibliographiques

 

* Pequena História da imigração japonesa no Brasil, Associação para Comemoração do Centenário da Imigração Japonesa no Brasil, Editora Gráfica Paulos, 2008.

* Arlinda Rocha Nogueira, Imigração japonesa na História contemporânea,  Editora Massao Ohno, 1984.

* Site web “Veja.com”

* Associação cultural e desportiva Nipo brasileira de Cotiate

* Site web “100 anos de imigração japonesa no Brasil”

* http://legis.senado.gov.br

* “História da discriminação brasileira contra os japoneses sai do limbo” – A folha de São Paulo, 20 de Abril de 2008.

 

 


[1] http://www2.camara.leg.br/legin/fed/lei/1824-1899/lei-97-5-outubro-1892-541345-publicacaooriginal-44841-pl.html

[2] Imigração japonesa na História contemporânea op. cit., p.102

[3] Pequena História da imigração japonesa no Brasil, op. cit., p. 12

[4] Imigração japonesa na História contemporânea, op. cit., p.107.

[5] Pequena História da imigração japonesa no Brasil op. cit., p. 22.
 

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Ce sujet a été présenté par Kévin Patrício, étudiant à l’Université Nice Sophia Antipolis, France.
 

 

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