Immigration japonaise au Brésil

II – Instauration de la dictature et Seconde guerre mondiale
 

Nous avons vu précédemment les raisons qui ont conduit à la signature, en 1895, du premier Traité de commerce et d’amitié entre le gouvernement brésilien et le gouvernement japonais, qui a abouti à l’arrivée au Brésil, à partir de 1908, d’un très grand nombre d’immigrants nippons.

 

La tolérance brésilienne envers cette population asiatique, source considérable de main d’œuvre aussi bien dans les plantations de café que dans les forêts amazoniennes, va toutefois basculer lors de la crise économique de 1929 et de l’arrivée au pouvoir de Getúlio Vargas. Voyons pourquoi.

 

 

A – L’arrivée au pouvoir de Getúlio Vargas

 

Getúlio Vargas

 

La Révolution de 1930 au Brésil amène au pouvoir Getúlio Vargas.

Sur le modèle instauré au Portugal par Salazar, il va créer une version brésilienne de l’ Estado Novo [l’État nouveau]. L’idéologie de ce régime reposait sur le totalitarisme et le « concept » de ségrégation raciale, qui, à l’époque, se développait aussi ailleurs dans le monde.

Les Japonais deviennent progressivement victimes de cette politique de « blanchissement”[1] de la population brésilienne, portée notamment par le député Miguel Couto, membre de l’Académie nationale de médecine. Il qualifie les Japonais de « dégénérés aborigènes nippons ». C’est dans ce contexte que, en 1934, est adoptée une nouvelle (et controversée) Constitution brésilienne, fondée sur celle des régimes fascistes et totalitaires d’Europe (Portugal, Espagne, Italie, Allemagne). Bien qu’il n’y soit jamais fait référence aux Asiatiques, cette Constitution d’inspiration fasciste prévoit des quotas d’immigration extrêmement restrictifs pour les populations d’origine asiatique. Dans son article 121-6, on peut ainsi lire que : “L’entrée d’immigrés sur le territoire national sera assujettie à des restrictions nécessaires à la garantie de l’intégration ethnique et à la capacité physique et civile de l’immigré, le flux migratoire de chaque pays ne pouvant néanmoins excéder la limite de 2% par an du nombre total des nationaux respectifs fixés au Brésil au cours des cinquante dernières années.[2] » Cette disposition s’inspire en grande partie de la proposition de loi de Fidelis Reis présentée onze ans auparavant, mais également des thèses de Manuel de Oliveira Lima qui considérait les Japonais comme une “race inférieure”[3].

 

 

B – La politique anti-japonaise

 

Avec cette nouvelle Constitution, les Japonais vont donc progressivement faire l’objet de mesures de discrimination et de ségrégation.  En effet, cette limitation du nombre d’entrées à 2% du total de la population japonaise du Brésil revenait à interdire de fait l’immigration japonaise, qui, de 1908 à 1933, avait été de l’ordre de 142 000 personnes. En 1936, les concessions japonaises en Amazonie sont supprimées par le Sénat fédéral, et cela sous la pression des mouvements antijaponais affirmant que ceux-ci étaient en train d’y installer une base militaire. Le coton japonais fait l’objet d’une surtaxe à l’importation, alors que celui-ci est quasi exclusivement consommé par la communauté japonaise. Les écoles japonaises sont progressivement interdites et l’usage de la langue japonaise n’est plus autorisé dans les écoles publiques. La même année, le décret-loi n.º 406 interdit aux personnes non nées sur le sol brésilien l’exercice de professions liées à l’éducation, conduisant ainsi à la fermeture de nombreuses écoles en milieu rural, gérées la plupart du temps par des Japonais. De très nombreux précepteurs à domicile sont dénoncés et emprisonnés.

 

À la même période, le Japon entre en guerre contre la Mandchourie, qu’il est en train de coloniser, ce qui lui permet d’agrandir artificiellement sa superficie. Avec les mesures discriminatoires brésiliennes et ce nouveau territoire à coloniser, de nombreux Japonais du Brésil pensent à retourner au Japon. Ainsi, en 1939, le nombre de partants est pour la première fois supérieur au nombre d’arrivants. A partir de cette même année, il devient obligatoire de se déclarer à l’administration. En août 1941, tous les journaux en langue japonaise sont interdits et, le même mois, le dernier bateau d’immigrés nippons, le « Buenos Aires-maru », accoste dans le port de Santos.

Toutes ces mesures discriminatoires semblent toutefois dérisoires, si on les compare à celles qui ont été adoptées après l’attaque japonaise de Pearl Harbour, le 7 décembre 1941.

 

 

C – La Seconde guerre mondiale

 

 

 

A partir de 1939, le monde entre dans un second conflit mondial, mais le Brésil demeure officiellement neutre. En réalité, le gouvernement de Getúlio Vargas a su cultiver l’ambiguïté, offrant à la fois ses services à la Gestapo et montrant sa sympathie envers les États-Unis. Lorsque le Japon a attaqué les États-Unis à Hawaï en 1941, le gouvernement brésilien a donc affiché sa solidarité avec le gouvernement américain. A partir de là, l’amalgame à l’égard de la communauté japonaise va rapidement se propager, non seulement à travers les discours démagogiques du gouvernement, mais aussi au sein de la population brésilienne.

Un mois après l’attaque, le Brésil rompt ses relations diplomatiques avec le Japon et fait fermer l’ambassade japonaise. L’État de São Paulo interdit totalement l’usage de la langue japonaise dans l’espace public, ainsi que la publication de documents en japonais, la célébration de l’hymne japonais et toute participation à des discussions ayant trait à des sujets internationaux. En février 1942, l’épisode de la rue Conde de Sarzedas à São Paulo traumatise la communauté : tous les Japonais vivant dans cette rue (autrement dit la quasi-totalité des habitants) ont dû abandonner leur domicile sous un délai de 12 heures. Cet événement reste encore aujourd’hui dans la mémoire de la communauté nipponne. Le 11 mars 1942, le Sénat fédéral brésilien adopte le décret-loi  n°. 4.166 [4]. Ce décret reprenait pour l’essentiel les mesures adoptées quelques jours auparavant par les États-Unis contre sa population d’origine japonaise à travers le décret présidentiel n°9066. Il prévoyait la confiscation des biens des “serviteurs de l’Axe” (Allemagne, Italie, Japon), y compris les biens financiers qui étaient déposés en banque. Pour se justifier, les autorités brésiliennes utilisaient le prétexte de réparation des dommages causés par le Japon.

Les Japonais ont également reçu l’interdiction d’acheter de nouveaux biens.

Le 18 août un sous-marin allemand coule un navire brésilien, causant la mort de nombreuses personnes. Les Japonais, accusés de complicité avec les Allemands, sont arrêtés et emprisonnés au centre d’accueil de la ville de Belém. En Amazonie, le camp Tomé-Açu est utilisé comme camp de concentration pour Japonais (et, dans de moindres proportions, pour Italiens et Allemands).

À partir de mars 1943, les Japonais ont l’obligation de posséder un sauf-conduit pour pouvoir voyager dans le pays. L’Allemagne est finalement vaincue le 7 mai 1945 par les Forces alliées et le Japon capitule en septembre, après les bombardements d’Hiroshima et de Nagasaki.

La fin de la Guerre n’a pas pour autant signé la fin du racisme et des tensions avec la communauté japonaise du Brésil, bien au contraire… Nous le verrons prochainement, dans la dernière partie de cette étude.

 

À suivre : De l’après-guerre à nos jours

 


 

 

[1] « História da discriminação brasileira contra os japoneses sai do limbo » – A folha de São Paulo, 20/04/2008.

[2] Constitution brésilienne de 1934 – article 121-6.

[3] « História da discriminação brasileira contra os japoneses sai do limbo » – A folha de São Paulo, 20/04/2008.

[4] DECRETO-LEI N° 4.166 – DE 11 DE MARÇO DE 1942 (http://legis.senado.gov.br/legislacao/ListaNormas.action?numero=4166&tipo_norma=DEL&data=19420311&link=s)

 

________________________

 

Ce sujet a été présenté par Kévin Patrício, étudiant à l’Université Nice Sophia Antipolis.

 

 

 

Les commentaires sont fermés.