Immigration japonaise au Brésil

III (troisième et dernière partie) – De l’après-guerre à nos jours

 

Les deux premières parties de cette étude ont abordé l’émergence de la communauté nippone au Brésil, notamment en raison des importants besoins de main d’œuvre pour la culture du café, puis le racisme et les représailles anti-japonaises lors de la dictature de Vargas et de la Seconde Guerre mondiale.

Nous accorderons maintenant notre attention à la situation après-guerre de cette communauté japonaise au Brésil, la plus importante en nombre à l’extérieur du Japon.

 

 
A – La division de la communauté
 

L’interdiction de tous les moyens de communication en langue japonaise, que nous avons évoquée dans notre deuxième partie, a eu des conséquences inattendues.

En effet, de nombreux Japonais recevaient des informations de propagande de la part du gouvernement japonais. Au moment de la capitulation du Japon, beaucoup ont cru à l’information selon laquelle leur pays avait gagné la guerre. D’autres croyaient en la défaite du Japon. Cette contradiction provoqua une scission au sein de la communauté : d’un côté, les partisans de la victoire, de l’autre, les partisans de la défaite. Avec l’aide de la Croix rouge et du nouveau gouvernement japonais, les personnalités influentes de la communauté tentèrent de convaincre de la défaite du Japon les partisans de la victoire (ce mouvement a d’ailleurs été qualifié de “mouvement d’acceptation”). Sans succès. Des groupes radicaux se forment alors et commètent des attentats et des assassinats contre les Japonais partisans de la défaite. À partir de mars 1946, de nombreux leaders de la communauté nippone sont assassinés par le groupe terroriste “ Tokkōtai”, membre de l’organisation “Shindō Renmei”. En juin, un assassinat dans la ville d’Osvaldo Cruz déclenche une série d’émeutes et de lynchages entre Brésiliens et Japonais, provoquant la mort de multiples personnes.

 

 

Le siège de la « Shindō Renmai »

 

 

Afin de maîtriser la situation, et pour éviter une propagation des violences au reste du pays, le gouvernement brésilien prend alors la décision de faire arrêter tous les criminels japonais. Avec l’aide en particulier du consulat américain et des « partisans de la défaite », il décide aussi de déclencher l’opération dite « des cartes postales”. Il s’agissait de demander aux proches des terroristes de leur envoyer des cartes postales depuis le Japon afin de les informer de la réalité de la situation. Le gouvernement japonais a également envoyé des films et des reportages attestant la défaite. Les journaux en langue japonaise sont à nouveau autorisés. Ces initiatives finissent par avoir le succès escompté.

 

 
B – La fin de la dictature
 

Entre-temps, le 29 octobre 1945, la dictature de Getúlio Vargas était tombée et, avec elle, toutes les lois anti-japonaises.

C’est ainsi que, à partir de 1947-48, et compte tenu également de la situation économique et sociale du Japon, la quasi-totalité de la communauté nippone du Brésil décide d’y rester, renonçant au vieux rêve de retour au pays. A partir de là, l’éducation devient une priorité et la communauté japonaise montre la volonté de s’intégrer pleinement à la société brésilienne.

Signalons cependant que nombre d’entre eux, et particulièrement les Isseis (la première génération d’immigrés) s’interrogent alors sur leur identité et sur celle des Nisseis (la deuxième génération), craignant de perdre leurs valeurs japonaises.

Les Japonais s’installent progressivement dans les villes, particulièrement à São Paulo.

De 3 467 personnes en 1939, ils passent à 62 000 en 1958 [1]. Beaucoup d’entre eux obtiennent la nationalité brésilienne.

Le retour au pouvoir de Getúlio Vargas en 1951 inquiète la communauté nippone, mais celle-ci ne sera finalement pas affectée par sa politique. Au contraire, le président nouvellement élu souhaite totalement tourner la page de la période de discrimination et signe, le 1er juillet 1952, l’ « Accord du 1er juillet », autorisant l’arrivée de nouveaux migrants japonais sur le territoire  brésilien. Une partie de ces nouveaux arrivants (les Tsuji) sera envoyée dans le nord du pays. L’autre (les Matsubara), vers le centre-ouest et vers le sud. Ils sont essentiellement utilisés comme main d’oeuvre dans la sériciculture (production de soie) et dans l’agriculture, à travers la Coopérative Agricole de Cotia. Certains travaillent dans l’industrie, principalement chez Hōwa (entreprise de métallurgie), dans un contexte de modernisation industrielle du Brésil.

 

 

L’arrivée des nouveaux immigrés

 

 

Au Japon, le gouvernement crée une “Ligue des jeunes pour le développement productif”, afin de préparer et de former les jeunes émigrants à des métiers techniques. En 1954, il crée la « Fédération des associations japonaises à l’étranger » (en japonais “Kaikyōren”) dans le but d’accompagner les nouveaux migrants avant et après leur arrivée au Brésil.

Le gouvernement brésilien crée quant à lui, à travers la loi n.º139 du 5 août 1955, la JAMIC, chargée de la construction et de la gestion administrative des colonies, et la JEMIS, chargée de gérer les prêts octroyés aux nouveaux arrivants. La création de ces organismes souligne la volonté d’anticiper et de préparer ces nouvelles arrivées, contrairement à ce qui s’était passé 40 ans plus tôt. De nombreuses « colonies » (surnom attribué aux quartiers japonais) ont ainsi été fondées entre 1959 et 1963, les principales étant les colonies Tomé-Açu II (inaugurée en 1963), Várzea Alegre (inaugurée en 1959) et Funchal (inaugurée en 1961). D’autres, n’ayant pas fait l’objet d’études préalables, ont été construites sur des terres infertiles, d’autres encore n’ont pas respecté les clauses de condition de logement. Cela a conduit de nombreux immigrés à abandonner le travail de la terre.

La JAMIC et la JEMIS ont fusionné en 1963, mais la nouvelle entité a progressivement perdu de son utilité jusqu’à disparaître totalement en 2003.

C’est également à partir de ce moment qu’a commencé à naître, au sein de la communauté nippone, la distinction entre nouveaux et anciens immigrés. Ce furent au total près de 2300 nouveaux Japonais qui émigrèrent au Brésil entre 1953 et 1961[2].

La communauté s’intègre progressivement à la population brésilienne. Le premier ministre d’origine japonaise, Fábio Ryōji Yasuda, entre au gouvernement en 1969, en tant que ministre de l’industrie et du commerce. D’autres sont nommés en 1974 (énergie et mines) et en 1989 (santé).

 

 

C – La crise économique et monétaire des années 1980

 

 

A partir de 1980, le Brésil connaît une importante crise monétaire, avec une énorme inflation (qui avoisine les 1000 %) et une crise économique qui génère un chômage important. De nombreux Brésiliens émigrent à  l’étranger pour trouver du travail.

Le Japon, qui connaît alors un fort développement économique, devient la première destination des jeunes nippo-brésiliens, qui possèdent souvent la double nationalité nippo-brésilienne ; c’est la génération des Dekasséguis.

On assiste ainsi à un retournement de l’Histoire, avec près de 300 000 nippo-brésiliens qui émigrent vers la terre de leurs ancêtres. Cette émigration a privé la communauté nippone du Brésil d’un moteur économique jeune et dynamique pendant de nombreuses années[3].

 

 
Conclusion
 

L’année 2008 a marqué le centenaire de l’immigration japonaise au Brésil et la communauté nippone est aujourd’hui pleinement intégrée dans la société brésilienne. Elle est présente dans tous les secteurs de son économie, en particulier dans la restauration et dans le domaine artistique.

Son principal défi est aujourd’hui la préservation de la culture de ses ancêtres. Car, le temps passant, la langue et la culture japonaises disparaissent progressivement. La mémoire de la communauté se perd elle aussi avec la disparition de la première génération des Isseis. Ce phénomène est d’ailleurs accentué par la mixité ethnique.

De nombreuses manifestations culturelles et religieuses, comme le festival de Tanabata (la fête des étoiles), ou même des festivals de karaoké ou de Taiko (festival de musique), sont organisés pour tenter de préserver cette très riche culture.

 

 

La fête de la Tanabata

 

 

La sauvegarde des racines passe également par la promotion des arts d’inspiration japonaise (par exemple, l’œuvre de l’artiste féminine Tomie Ohtake est très connue), du sport (qui constitue l’une des valeurs principales de cette communauté nippone) et surtout de la cuisine. À São Paulo, il existe un très grand nombre de restaurants japonais [4]. Tous ces éléments font partie de l’identité nippo-brésilienne et contribuent à la préservation d’une mémoire menacée de disparition [5].

 

 

  • Fin

 

 

 

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Sources bibliographiques :

* Pequena História da imigração japonesa no Brasil, Associação para Comemoração do Centenário da Imigração Japonesa no Brasil, Editora Gráfica Paulos, 2008.

* Arlinda Rocha Nogueira, Imigração japonesa na história contemporânea,  Editora Massao Ohno, 1984.

* Site web “Veja.com”, Edição 2038, 12 dezembre de 2007

* Associação cultural e desportiva Nipo brasileira de Cotiate

* Site web “100 anos de imigração japonesa no Brasil”

* http://legis.senado.gov.br

* “História da discriminação brasileira contra os japoneses sai do limbo” – A folha de São Paulo, 20 de Abril de 2008.


[1] 100 anos de imigraçao japonesa no Brasil – Da “sociedade de patrícios” à “Colônia”.

[2] 100 anos de imigraçao japonesa no Brasil – Os imigrantes do pós-guerra (http://www.ndl.go.jp/brasil/pt/s7/s7_1.html)

[3] 100 anos de imigraçao japonesa no Brasil – Os dekasséguis : trabalhadores nikkeis no Japão.

[4] Pequena historia da imigração japonesa no Brasil, p.44

[5] Veja.com : « Os Isseis », 12 de dezembro de 2007
(https://web.archive.org/web/20130331023222/http://veja.abril.com.br/121207/p_082.shtml)

 
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Ce sujet a été présenté par Kévin Patrício, étudiant à l’Université Nice Sophia Antipolis.

 

 

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