« Que celui qui n’a jamais péché lui jette la première pierre… »

 

« Tous ceux qui sont familiers du Brésil vous le diront : seul le présent compte vraiment, au point qu’il s’insinue même dans le passé, par la saudade, ce sentiment portugais qui signifie présence de l’absence, tandis qu’il rejette demain dans les limbes de l’absolue incertitude. »

Yves Gervaise, Géopolitique du Brésil (2012)

 

 

Tout en affichant depuis sa création son indépendance politique, ce site culturel accueille cependant des synthèses, des réflexions, voire même des témoignages concernant des moments cruciaux de l’Histoire.

 

L’Histoire du Brésil retiendra sans doute la date du 17 avril 2016, celle où la Chambre des Députés s’est prononcée en faveur de l’admissibilité de la procédure d’impeachment contre Dilma Rousseff. Réélue de justesse en octobre 2014, la Présidente du Brésil souffre d’une chute désastreuse de sa popularité, liée, entre autres, à son implication présumée dans de très grosses affaires de corruption (« Operação Lava Jato »). Appelé in extremis à son secours, et afin d’assurer les voix nécessaires au Congrès, l’emblématique Lula, également en ligne de mire de la justice, semble ne pas hésiter à promettre des postes à des politiques sans affinité aucune avec le Parti des Travailleurs (PT), dont lui et Dilma Rousseff sont issus.

 

 

Dilma Rousseff, le 17 avril 2016 © Roberto Stuckert Filho PR

 

 

Le 17 avril dernier, parmi ceux qui se sont prononcés contre la Présidente du Brésil, on compte Eduardo Cunha, président de la Chambre des Députés, et 201 autres politiciens, tous assignés pour des affaires de fraude, corruption, blanchiment d’argent, ou crimes divers. Comme beaucoup d’autres, Eduardo Cunha est membre de l’Église évangéliste, toute puissante au Brésil

 

 

 

Eduardo Cunha, le 17 avril 2016 © ANDRESSA ANHOLETE AFP

 

 

Si la Censure ne se charge pas d’effacer des moments peu glorieux à l’égard des générations futures, l’Histoire brésilienne gardera donc la mémoire de six heures d’échanges terriblement haineux et cyniques, pendant lesquelles, au nom de « la Famille, Dieu, la Patrie et l’Éthique », des pierres bien trop anguleuses ont été jetées à la Présidente du Brésil…

 

 

Députés lors de la séance du 17 avril 2016 ©  I. Andrade EFE

 

 

C’est ainsi que :

 

  • le député Jair Bolsonaro, lors de son vote en faveur de l’impeachment, a rendu hommage au colonel Ustra, « la terreur de Dilma » selon lui, l’un des plus grands tortionnaires pendant la dictature militaire (1964-1985), directeur de la prison où la Présidente avait été incarcérée dans les années 70. Bolsorano, candidat éventuel à la présidence du Brésil en 2018, est également connu pour sa misogynie et son homophobie ;
  • le député Marco Feliciano, pasteur évangéliste, a désigné le PT comme « parti des ténèbres », sachant qu’il est lui-même auteur d’un projet de « cura gay »… tentative, sans doute, d’éradiquer les homosexuels, les travestis, les transsexuels. Il s’est récemment exprimé sur les attaques djihadistes ayant lieu en France : le fait que ce pays ait été l’un des premiers à légaliser l’avortement et à défendre la liberté sexuelle en serait, d’après lui, la cause directe ;
  • le député Nilson Leitão vote contre Dilma Rousseff et en faveur d’une « Patrie unie », alors qu’il est lui-même attaqué en justice à cause d’actions criminelles alléguées contre des Indiens de l’État du Mato Grosso ;
  • le député Eduardo Cunha garde très probablement l’espoir d’être « amnistié » dans ses procès en cours, puisque sa manière de conduire la séance a donc abouti à l’admissibilité de la procédure d’impeachment. Compte tenu des charges qui pèsent contre lui, il paraît invraisemblable qu’on l’ait autorisé à présider la Chambre des députés le 17 avril dernier ;

 

etc.

etc.

 

 

La destitution éventuelle de Dilma Rousseff, décidée après 180 jours suivant le vote au Sénat (prévu le 16 ou 17 mai 2016), amènerait au pouvoir le vice-Président Michel Temer, partisan lui aussi de l’impeachment.

 

 

Michel Temer © E. Peres AP

 

 

La revue brésilienne Veja vient de publier, le 18 avril dernier, un article sur le profil de son épouse, éventuelle future première dame. Son titre a provoqué une onde d’agitation chez une partie des femmes et des hommes brésiliens : « Bela, recatada e ‘‘do lar’’ », signifiant « belle, discrète et ‘‘femme au foyer’’ », voilà les attributs qui feraient de son mari un homme chanceux… Mari qui, s’il arrivait au pouvoir, se ferait peut-être entourer par Eduardo Cunha et quelques-uns des députés « alliés ». Leur principale mission serait bien sûr de lutter contre la gigantesque « dictature de la corruption », qui désespère le peuple brésilien et brime de façon dramatique les secteurs de l’éducation et de la santé. Est-ce que ces politiciens sont les mieux placés pour le faire ?

 

 

« – Mais… et après l’impeachment?
– Je n’en sais rien ! Nous verrons bien ! »

 

 

Le retour vers l’obscurantisme totalitaire, qui semble guetter ce peuple ami, inquiète.

Faisons pour le moment confiance à la jeune démocratie brésilienne… qui pourra aussi trouver dans cette crise un moyen de se consolider… et de se réinventer !

 

 

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http://www.franceinter.fr/emission-le-79-sebastiao-salgado

http://brasil.elpais.com/brasil/2016/04/19/politica/1461019293_721277.html?id_externo_rsoc=TW_CM

http://brasil.elpais.com/brasil/2016/04/20/opinion/1461174211_555755.html?id_externo_rsoc=FB_CM

 

 

 

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