Le coup d’envoi du Carnaval de Rio sous le signe de la contestation

 

C’est ce vendredi 9 février 2018 qu’a lieu l’ouverture officielle du Carnaval de Rio, avec la remise des clés de la ville au Roi Momo, qui symbolise la joie sensuelle de cette fête brésilienne on ne peut plus populaire. Cette année, ce coup d’envoi est placé sous le signe de la contestation : si la corruption généralisée est le sujet visé en premier plan, la colère à peine déguisée par l’humour se tourne contre le maire de Rio, pasteur de l’« Église universelle du règne de Dieu ». Comme le président actuel Michel Temer, le maire carioca est un exemple puissant de la déferlante évangélique qui prend au Brésil des proportions inquiétantes. Des icônes comme Neymar en sont d’autres.

 

Au moment de la procédure d’impeachment contre Dilma Rousseff, nous avions déjà alerté contre le danger représenté par ces sectes.

L’article publié par « les Inrockuptibles » le 7 février dernier, à propos du livre qui vient de sortir JÉSUS T’AIME – La déferlante évangélique, de Lamia Oualalou, mérite dans ce sens notre attention.

 

 

Quelques extraits de l’article cité :

 

 

Homophobie, foot, prières de rue :

plongée dans la déferlante évangélique au Brésil

 

 

« Depuis les années 1970, le nombre de protestants évangéliques explose au Brésil, jusque-là premier pays catholique du monde. La journaliste Lamia Oualalou […] enquête sur ce mouvement dont les idées réactionnaires prospèrent et [sur] ces hommes de foi qui se font entendre dans un pays frappé par la crise politique.

[…]

 

Le 21 août 2016 représente sans doute le moment le plus important de la jeune carrière [de Neymar]. D’abord buteur puis auteur du tir au but décisif, il offre au Brésil et à son football le dernier titre manquant à son palmarès, l’or olympique. Deux ans plus tôt, lors de la Coupe du monde dans son pays, celui qui était déjà présenté comme l’homme providentiel avait échoué dans sa mission. En guise de trophée, il n’avait reçu qu’un violent coup dans le bas du dos, lui fracturant vertèbres et rêve de victoire devant son public.

Cette victoire de l’été 2016, c’était surtout la sienne. Pourtant, au moment de recevoir sa médaille olympique, ce n’est pas lui que l’idole met en avant. Sur le podium au centre d’un stade Maracana de Rio qui hurle son nom, l’attaquant arbore un bandeau « 100% Jésus ».

 

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Ce n’est pas une première pour le joueur. Déjà en 2015 remportant la Ligue des Champions avec le FC Barcelone, Neymar avait exposé son bandeau, obligeant la Fifa à retoucher les images prosélytes en vue de la cérémonie du Ballon d’or qui récompense le meilleur footballeur de l’année.

Le joueur est loin d’être une exception parmi la Seleção, l’équipe nationale brésilienne. Depuis une dizaine d’années et les t-shirts « I belong to Jesus » de Kaka, les Brésiliens du ballon rond se sont faits les porte-étendards de la nouvelle vague religieuse qui bouleverse le paysage politique et culturel de leur pays.

 

Étrange branche du protestantisme

 

Dans ce qui était jusque-là le premier pays catholique du monde, l’Eglise de Rome est en passe de se faire supplanter par une multitude de structures tenues par les baptistes évangéliques. Dans son livre Jésus, t’aime ! La déferlante évangélique, aux éditions du Cerf, la journaliste française Lamia Oualalou a enquêté sur la montée de cette étrange branche du protestantisme qui est en train de changer radicalement la face du pays.

Les évangéliques brésiliens sont majoritairement issus du pentecôtisme, né aux États-Unis au début du siècle dernier. Dès les années 1950, le Brésil héberge la troisième communauté pentecôtiste au monde. A partir de ce moment, leur nombre explose, passant de 6 % de la population en 1970 à 22 % en 2010. Ils devraient faire jeu égal avec les catholiques d’ici 2030. Leur méthode : occuper le terrain, dans les rues comme dans les médias.

 

Chanter et danser pour éloigner le diable

 

A partir des années 1960, les Eglises se saisissent des canaux de télévision et des fréquences radio pour diffuser leur sainte et rigoriste parole – alcool et carnaval sont prohibés – et se faire connaître de toute la population. Les pentecôtistes entrent ainsi dans les favelas les plus reculées des grandes métropoles. C’est là que l’expansion de l’évangélisme est la plus forte, en périphérie de Rio de Janeiro et de Sao Paulo, où de petits temples voient le jour dans d’anciens garages.

« Des chaises en plastique, un clavier électronique, une guitare et deux microphones suffisent au pasteur pour démarrer », écrit Lamia Oualalou. Le pasteur est généralement issu de la communauté où il officie », poursuit-elle. « Il y a parfois grandi, il s’y est marié, ses enfants y vont à l’école et souffrent de l’absence de l’État. »

Le culte évangélique, loin de l’ascétisme des premières Eglises, est aujourd’hui très ludique […]. Une fois par an, des millions d’évangéliques « chantent, dansent et prient pour éloigner le diable » lors de la Marche de Jésus organisée dans tout le pays. Toute la journée, des concerts des stars de la musique évangélique sont organisés – le Top50 brésilien ayant peu à peu cédé, face à la déferlante.

 

Prospérité contre sextoys bibliques

 

La musique, mais aussi les séries télé, les habits, les jeux de société ou même les planches de skate et les sextoys… chez les évangéliques, tout doit en effet être conforme avec la Bible. Impossible, dès lors, d’aller au temple en mini-short ou de boire du Coca Cola – face au « breuvage du diable » ils ont inventé le Juda Cola dont la recette aurait été dictée, disent-ils, par le Saint Esprit.

Par ailleurs, la consommation est au centre de la théologie, dite « de la prospérité ».

«S’enrichir, consommer, donner à l’Église : toutes les actions sont glorifiées pourvu qu’elles reviennent à Dieu », explique Lamia Oualalou.

D’autant qu’en face, Dieu doit garantir en retour bonheur et richesse au croyant. « Dieu a promis des bénédictions, mais pour les obtenir, le fidèle doit verser de l’argent pour démontrer sa foi », indique la journaliste. Ainsi, le pentecôtiste doit reverser 10 % de son salaire à son Eglise et est encouragé à faire d’autres dons, en argent comme en nature.

 

Empires médiatiques, ambitions politiques

 

Grâce à cette manne financière, les stations radio de télé-évangélisme des années 1970 ont laissé la place à d’importants empires médiatiques, de sorte que la deuxième chaîne de télévision du pays est détenue par une Eglise depuis 1990. Certains pasteurs deviennent des figures médiatiques, avec pour message la défense de la famille. Plusieurs d’entre eux se tournent aussi vers la politique, pour le compte de partis parfois créés par les Eglises.

Autorisé par la Cour suprême depuis 2013, le mariage entre personnes de même sexe enrage du côté des dignitaires évangéliques. Convaincus de vivre dans une « dictature gay », pasteurs et députés pentecôtistes ont fait de la théorie du genre leur principal ennemi.

«Après le mariage pour tous, viendra l’adoption par des parents gays, l’extinction des mots ‘père’ et ‘mère’, et la destruction de la famille », a ainsi twitté Marcos Feliciano, pasteur et député de Sao Paulo.  

 

[…]

“Amener l’Evangile à toutes les nations de la Terre”

 

La journaliste met en avant que les fidèles ne sont pas tous réactionnaires – même si les violences contre la communauté LGBT explosent. S’ils votent pour des politiques évangéliques, comme le maire de Rio élu en 2016, c’est davantage parce que les partis traditionnels de droite comme de gauche continuent d’avoir des préjugés contre eux. De fait, la gauche brésilienne a totalement laissé de côté cette population, pourtant dans sa grande majorité des personnes pauvres ou issues de la petite classe moyenne. Difficile de concilier théologie de la prospérité et classe politique venant du syndicalisme ouvrier.

Dommage pour eux : les cadres évangéliques comptent bien leur prendre le pouvoir, dans un pays englué dans une interminable crise politique depuis la destitution de Dilma Rousseff, en 2016, et où les partis traditionnels n’ont plus vraiment bonne presse.

“Je ne sais pas si cela sera pour notre génération, […] mais les évangéliques vont élire un président de la République, qui va travailler pour nous et pour nos églises, et nous allons accomplir la mission qui est depuis 2 000 ans le principal défi de l’Eglise, qui est d’amener l’Evangile à toutes les nations de la Terre”, prophétisait au début des années 2010, Marcelo Crivella, l’actuel maire de Rio. »

 

 Cyril Camu, les Inrocks

 

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https://www.lesinrocks.com/2018/02/07/actualite/homophobie-foot-prieres-de-rue-plongee-dans-la-deferlante-evangelique-au-bresil-111043756/

 

 

 

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